La Claudine aime bien le week-end, mais parfois le lundi est le bienvenu.
La Claudine, chaque année, attend les week-ends de Téléthon illuminant le bassin minier. Pas seulement pour les lampions ou la fanfare qui résonne dans les rues, mais pour ces moments où l’on retrouve ce qui fait la force de nos communes : la générosité tranquille, la chaleur humaine, et ce tissu associatif qui n’a jamais eu peur de retrousser ses manches.
La Claudine l’a constaté aussi bien à Montceau, Blanzy, Les Bizots, Saint-Vallier, Ciry et toutes les autres communes et jusqu’aux hameaux les plus discrets, ça s’active, ça se prépare, ça répète. Des animations partout, des bénévoles comme s’il en pleuvait.
Au Montceau, ce fut karaoké au Trait d’Union, fanfare Kikiristan sur la place, vente de marrons chauds, illuminations sous les fenêtres de l’Hôtel de Ville, gospel aux Bizots, démonstrations sportives diverses avec 24 h triathlon, pas toqués entre Blanzy et Les Bizots, arts martiaux et Tartif’téléthon à la Lande, et jusqu’aux jeunes sapeurs-pompiers qui tiendront leur stand, et d’autres encore : l’enthousiasme ne manque jamais.
La Claudine les voit, ces bénévoles, certains depuis trente ans, qui connaissent par cœur la mise en place des barnums et la logistique des tombolas. Elle n’a qu’un mot : respect.
Et peut-être même un deuxième : admiration.
Et puis il y a la fête médiatique omniprésente qui égrène des chiffres qui donnent le tournis. Cette année, le compteur s’est arrêté à 83,5 millions d’euros de promesses au niveau national. On sait, avec l’expérience, que le résultat final sera plus élevé : entre +15 % à +21 % chaque année depuis 2021. C’est colossal. Et tout cela, rappelons-le, commence souvent dans une buvette locale, au détour d’une barquette de frites servie par un bénévole qui a pris sa journée.
Tout au long de ces deux journées, l’on répète à l’envie les avancées scientifiques : incontestables, même pour une Claudine pleine de prudence. Et il faut objectivement en convenir en étant honnêtes : sans le Téléthon, la France n’aurait pas son Généthon, ni autant de programmes de thérapie génique en cours. Des essais cliniques ont amélioré la vie de vrais enfants, de vraies familles, ici et ailleurs.
C’est factuel, solide, documenté et cela mérite d’être dit haut et fort.
Mais Claudine ne serait pas Claudine sans quelques questions, sans interrogations de fond car pour elle, dans l’euphorie des chiffres, une petite voix s’invite toujours dans son esprit. Non pas pour dénigrer, elle laisse cela aux grincheux, mais pour regarder plus loin que la fête.
L’État ne se repose-t-il pas un peu trop sur la charité ? Quand les associations font, chaque année, la preuve de leur très grande efficacité, prouvent la capacité du peuple français à se mobiliser pour une noble cause, n’est-il pas tentant pour les pouvoirs publics de se dire : « Eh bien, ils s’en sortent très bien sans nous » ?
La Claudine s’interroge aussi à propos du mécénat industriel : prix de vertu ou d’opportunisme ?
Certains grands groupes bénéficient déjà de dispositifs fiscaux avantageux et trouvent encore un intérêt à se montrer généreux. Oui, c’est légal. Oui, c’est utile. Mais est-ce équitable ? La question est légitime et ne remet pas en cause tout ce qui est fait pour atteindre le but, mais elle interroge sur les bénéfices que les familles, les malades, les soignants peuvent en tirer.
Des traitements mis au point grâce aux dons, c’est formidable, ça repose sur la sueur du front des bénévoles et la générosité des centaines de milliers de gens, mais parfois ils sont ensuite vendus à prix d’or et l’on passe d’une démarche de solidarité à une démarche mercantile, et ça n’est pas franchement l’ADN du Téléthon.
On ne parle pas d’un ou deux cas isolés : plusieurs enquêtes montrent que des innovations issues de laboratoires financés par le Téléthon sont ensuite rachetées ou exploitées par des acteurs privés, à des tarifs qui dépassent l’imagination. Résultat, les familles se retrouvent à applaudir une avancée dont l’accès dépendra ensuite de négociations serrées avec l’Assurance maladie.
Pour la Claudine, il y a aussi la question du récit. Certains militants du handicap demandent une représentation moins « compassionnelle », plus tournée vers les droits et la dignité. Le débat est légitime, et il mérite mieux qu’un haussement d’épaules, mais la puissance médiatique n’est pas facilement malléable et elle est un gros vecteur dans la recherche des dons.
La Claudine se dit qu’entre admiration et lucidité il y a un équilibre à trouver et à garder.
Son sentiment est simple, sans fioritures : n’opposons pas, ne caricaturons pas et surtout, surtout ne gâchons pas la fête par excès de suspicion.
Les bénévoles du Montceau, du bassin minier, du Trait d’Union aux chorales de quartier, du dojo à la fanfare, du village sur la place de la mairie n’ont pas à porter sur leurs épaules la complexité des brevets pharmaceutiques et des politiques publiques. Eux, ils agissent. Et, la Claudine en reste persuadée, agir, c’est parfois plus courageux qu’analyser. Mais en parallèle, tout le monde a le droit, et peut-être même le devoir, de poser les bonnes questions : comment garantir que ces millions collectés bénéficient vraiment à l’intérêt général ? Comment éviter que la générosité citoyenne ne comble des manques structurels ? Comment s’assurer que les avancées financées par les dons restent accessibles à tous ?
De toute manière il faut soutenir les associations, les bénévoles, les individus isolés, les institutionnels et faire un don selon ses moyens.
Pour la Claudine, ce qui est primordial, c’est de garder en tête que la solidarité locale est précieuse, mais qu’elle ne doit jamais servir d’alibi à des politiques publiques en retrait ou à des logiques industrielles trop gourmandes.
Car ce que les habitants du bassin minier, du Montceau, montrent depuis toujours, c’est qu’on peut donner avec le cœur… tout en gardant les yeux grands ouverts.
Gilles Desnoix



