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jeudi 13 novembre 2025 à 03:36

23 restaurants ferment chaque jour en France ? La vraie histoire derrière le chiffre



 

L’affirmation circule partout, dans la presse écrite, sur les chaines d’infos, sur les réseaux sociaux, mais elle recouvre une réalité plus complexe. Le bassin minier a lui aussi connu la fermeture de quelques établissements et d’autres sont en difficulté ou y arrivent tout juste.

Si le secteur HCR enregistre bien environ 23 défaillances quotidiennes, tous ne sont pas des restaurants et toutes ne sont pas des fermetures définitives. Inflation, baisse de fréquentation, prix dissuasifs et tickets-restaurant massivement redirigés vers l’alimentation : décryptage d’une crise profonde et durable, d’un chiffre vrai… mais trompeur

 

Oui, la phrase circule largement : « 23 restaurants ferment chaque jour en France ». Elle alerte, inquiète, et semble résumer à elle seule la crise du secteur. Pourtant, si elle n’est pas totalement fausse, elle repose sur un raccourci statistique qui demande à être décodé. Que disent réellement les chiffres officiels et professionnels ? Et surtout, qu’est-ce qui fait vaciller la restauration française aujourd’hui ?

 

Pour Montceau News, nous allons essayer de rendre tout ça plus clair.

 

Il s’agit d’un chiffre plausible, mais selon une définition très large car le nombre de 23 fermetures par jour provient d’un calcul simple : en 2024, environ 8 700 procédures collectives (dépôts de bilan, redressements, liquidations) ont été enregistrées dans l’ensemble du secteur HCR (hôtels, cafés, restaurants). Si l’on divise 8700 par 365, on obtient bien 23,8 procédures par jour.

 

Mais ce qu’il faut prendre en compte, c’est que ce chiffre ne concerne pas uniquement les restaurants, mais tout le secteur HCR, et il ne décrit pas strictement des « fermetures définitives de restaurants », mais des défaillances d’entreprises (procédures judiciaires).

Si l’on s’intéresse uniquement aux restaurants traditionnels, les données sectorielles indiquent plutôt environ 3 500 défaillances en 2024, soit environ 10 par jour, un chiffre nettement inférieur à 23.

De crédible, si l’on inclut l’ensemble HCR et toutes les procédures. Ce chiffre devient trompeur si on l’interprète comme “23 restaurants qui baissent le rideau chaque jour”.

 

Lorsque l’on parle de défaillance, cela ne signifie pas toujours que l’on parle de fermeture définitive.

En effet, il faut distinguer entre les défaillances/procédures collectives : l’entreprise se place sous protection juridique (redressement, liquidation, etc.) et la liquidation judiciaire : fermeture quasi définitive. Il faut être conscient que la cessation d’activité peut inclure vente, changement d’enseigne, reprise, transformation…

Ainsi, toutes les défaillances ne mènent pas à une disparition pure et simple, mais elles révèlent une tension profonde et durable du secteur.

 

Le chiffre étant répété à l’envi, on peut se poser la question s’il s’agit d’un phénomène qui s’aggrave, sans être totalement inédit, ou d’une réelle brusque dégradation.

La restauration a toujours connu un fort turnover, mais l’ampleur n’est pas habituelle : En 2022, 5300 défaillances dans le secteur HCR, en 2023, 8000 et en 2024, 8700.

Année

Défaillances secteur HCR

2022 ~ 5300, 2023~8 000 (+46 %), 2024~8 700 (+9 %)

Cette envolée traduit un rattrapage post-Covid, mais aussi l’installation d’une crise structurelle, où les difficultés ne se résorbent plus avec le temps. Sur le bassin minier, on peut constater la même progression.

 

Quelles sont les causes de cette dégradation ? Il semble s’agir d’un enchaînement d’effets de pression car la fragilisation du secteur ne repose pas sur un seul facteur, mais sur un effet cumulatif :

D’abord l’explosion des coûts : matières premières alimentaires, énergie (électricité / gaz), loyers commerciaux élevés dans les zones urbaines (c’est un sujet récurrent de préoccupation sur Montceau), charges salariales dans un secteur en tension sur le recrutement.

Ensuite il faut compter avec l’effet retard du covid. Durant la pandémie, les aides publiques (fonds de solidarité, PGE, chômage partiel) ont permis de maintenir artificiellement de nombreuses structures. Mais à partir de 2023-2024, la fin des aides, le début du remboursement des PGE et les trésoreries exsangues ont fait que les difficultés se sont matérialisées et ce parfois brutalement.

Une autre cause structurelle provient du public qui se détourne des restaurants, car en effet il faut constater que la fréquentation baisse. C’est un autre élément clé, souvent sous-estimé.

Quelles en sont les raisons ? L’inflation et l’arbitrage des dépenses car le restaurant devient l’une des premières dépenses sacrifiées. Les prix des menus en hausse : un repas devenu trop coûteux pour une partie des ménages. À deux, c’est souvent un billet de 50€ ou presque. L’accroissement du télétravail, ce qui entraine une chute durable de la clientèle du midi dans les centres-villes.

Une des causes régulièrement mises en avant par les restaurateurs tient au détournement massif des tickets restaurant vers l’alimentation. Depuis plusieurs années, et plus encore avec l’inflation, les titres-restaurant sont de moins en moins utilisés au restaurant, mais plutôt au supermarché pour faire des courses alimentaires, parfois pour des produits non transformés (pâtes, riz, etc.). En conséquence, alors qu’ils avaient vocation à financer la restauration, ils servent davantage à compenser la hausse du coût de la vie, asséchant une source importante de chiffre d’affaires pour les restaurateurs.

 

On ne doit pas ignorer une autre cause, c’est la mutation des usages alimentaires. Le secteur de la restauration subit aussi la concurrence des livraisons, des dark kitchens, des chaînes low-cost (mais cela n’induit pas forcément une perte de chiffre d’affaires, une atténuation, mais une baisse de fréquentation présencielle), et le recul des repas traditionnels assis au profit d’un snacking plus fréquent, moins rentable pour les petits établissements indépendants.

 

Sans polémiquer sur la réalité de terrain au niveau de la restauration, la formule « 23 restaurants ferment par jour » révèle vraiment qu’une dynamique s’est enclenchée et s’aggrave depuis 2022, que le secteur traverse une crise profonde et que le niveau de défaillance est très élevé. Mais tous les établissements ne ferment pas définitivement. Le chiffre englobe bars, hôtels et cafés et les causes sont multiples, pas seulement économiques.

 

Gardons en tête que le secteur n’est pas condamné et qu’il ne s’agit pas d’un simple trou d’air conjoncturel, nous assistons à une transformation structurelle du modèle économique de la restauration qui s’opère sous nos yeux, et qui exige autant de solutions économiques que réglementaires (encadrement de l’usage des titres restaurant, soutien ciblé, adaptation des offres, etc.).

 

La crise sanitaire n’aura pas seulement été un choc momentané : elle a laissé dans l’économie les mêmes cicatrices durables que dans les organismes. L’effet covid a d’abord été un arrêt brutal, puis un redémarrage sous tension, dans un environnement transformé : inflation, explosion des coûts, comportement des consommateurs modifié, arbitrages serrés dans les budgets des ménages, transit des tickets restaurant vers la grande distribution, et une fréquentation qui ne retrouve jamais totalement son niveau d’avant.

 

À Montceau-les-Mines comme ailleurs, les chiffres montrent que le phénomène n’est pas un effondrement soudain, mais une érosion lente, progressive, révélatrice d’un modèle fragilisé. Le secteur HCR n’a pas disparu, mais il s’est resserré, sélectionné, transformé. Ceux qui survivent sont souvent ceux qui ont su s’adapter : menus plus sobres, mutualisation des coûts, modèles hybrides, circuits courts, digitalisation, vente à emporter.

 

Gilles Desnoix

 

Sources : INSEE, Banque de France, Altares, GHR, Franceinfo, Le Monde, L’Hôtellerie-Restauration, Presse éco + syndicats professionnels

 

 

 

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