Production en France : François Bayrou exagère-t-il ?
Non, la France ne produit pas 15 % de moins que tous ses voisins : une lecture plus fine des chiffres s’impose.
Florence Aubenas, grand reporter, a écrit que « la mission du journalisme, c’est de donner au public les éléments pour penser par lui-même. » Montceau News s’est fixé cette mission. Après https://montceau-news.com/montceau_et_sa_region/843256-les-francais-travaillent-moins-vrai-cliche-ou-faux-debat-ce-que-disent-vraiment-les-chiffres.html, voici le volet : « La France produit-elle vraiment 10 à 15 % de moins que ses voisins ? »
Le Premier ministre François Bayrou a affirmé cette semaine que la France produisait « entre 10 et 15 % de moins par habitant que ses voisins », évoquant une situation économique qui contribuerait au surendettement du pays. Mais qu’en est-il vraiment ? Si l’on regarde les chiffres, l’écart n’est pas aussi clair que le laisse entendre cette déclaration. Bien entendu, il faut toujours avoir à l’esprit qu’il s’agit d’une communication politique, pas de paroles gravées dans l’airain. Toute communication doit être mise en doute et analysée pour en tirer l’essentiel.
Il s’agit tout de même d’une déclaration sur YouTube qui interroge :
Dans le deuxième épisode de sa nouvelle série de vidéos intitulée FB Direct, diffusé le 6 août sur YouTube, François Bayrou a plaidé pour « produire plus » en France. Selon lui, si la production par habitant atteignait le niveau de nos voisins, les salaires et les recettes de l’État seraient eux aussi 10 à 15 % plus élevés.
« La France est dans cette menace de surendettement parce qu’elle produit moins que ses voisins », a-t-il affirmé.
D’après les vérifications menées, il s’avère que l’entourage du Premier ministre a précisé après coup qu’il parlait surtout de l’Allemagne, et non de l’ensemble des pays frontaliers ou de l’Union européenne, mais ces précisions restent largement dans l’ombre de la déclaration elle-même et ne préjugent pas vraiment du fond de la pensée du Premier ministre.
Comme d’habitude, il faut aller voir ce que disent vraiment les chiffres :
Le PIB par habitant (produit intérieur brut rapporté au nombre d’habitants) est l’indicateur utilisé pour mesurer la richesse produite par personne.
Selon les dernières données disponibles (Eurostat, FMI – 2024) :
- France : environ 38 500 € par habitant.
- Allemagne : environ 45 000 €.
- Italie : environ 35 000 €.
- Espagne : environ 32 000 €.
- Union européenne (UE-27) : moyenne autour de 35 000 €.
Donc en conclusion on peut dire que : oui, la France produit environ 15 % de moins que l’Allemagne, selon les chiffres. Mais elle produit plus que l’Italie, l’Espagne ou même la moyenne de l’UE.
Pourtant l’on peut affirmer qu’il s’agit d’une comparaison trompeuse car il faut faire attention aux mots. Il ne s’agit pas d’un mensonge foncier, mais d’un trompe l’œil.
L’affirmation de François Bayrou selon laquelle la France produirait « 10 à 15 % de moins que ses voisins » repose sur une expression ambiguë, voire trompeuse. Parler de « ses voisins » donne à penser que la France serait globalement à la traîne par rapport à l’ensemble des pays qui l’entourent, ce qui ne résiste pas à l’analyse des données économiques comparées.
En réalité, la France est bien placée dans le paysage européen car elle se situe dans la moyenne haute de l’Union européenne en matière de PIB par habitant. Si l’on observe les pays limitrophes ou proches géographiquement, la situation est bien plus nuancée : elle dépasse l’Italie, l’Espagne, le Portugal, des pays du Sud de l’Europe, qui figurent pourtant parmi ses « voisins ». La France est également légèrement au-dessus de la moyenne de l’UE-27, qui regroupe des pays très disparates en termes de développement économique. Elle se maintient à un niveau équivalent ou légèrement inférieur à celui de pays comme la Belgique ou l’Autriche. En d’autres termes, la France n’est pas à la traîne, mais dans le peloton de tête européen, juste derrière quelques pays plus dynamiques ou à plus forte valeur ajoutée industrielle qui présentent un écart significatif de production par habitant avec la France. Il s’agit des économies fortement industrialisées ou orientées vers l’export : l’Allemagne, avec son tissu industriel puissant et ses excédents commerciaux chroniques, les Pays-Bas, très performants dans le commerce et la logistique internationale, la Suède, avec une spécialisation technologique et un modèle économique très structuré.
Il s’agit en l’occurrence de modèles spécifiques, difficiles à comparer directement avec celui de la France, qui repose sur un modèle mixte alliant production industrielle, services publics forts et redistribution sociale.
Arrivé à ce point, il faut se demander ce que cette comparaison masque, car réduire la performance économique d’un pays à une simple comparaison de PIB par habitant occulte des réalités essentielles. En effet, le niveau de vie dépend aussi de la qualité des services publics, du pouvoir d’achat réel, de l’accès à la santé, à l’éducation, etc. Certains pays au PIB élevé affichent plus d’inégalités, une précarité énergétique plus marquée ou un accès plus inégal aux soins.
Autrement dit, produire plus ne signifie pas forcément vivre mieux, ni de façon plus équitable.
Pourquoi c’est important de prendre conscience de cet état de fait ? Parce que ce genre de déclaration, fondée sur des chiffres imprécis ou mal interprétés, alimente un diagnostic alarmiste sur la situation économique de la France.
Or, le PIB par habitant n’est qu’un indicateur parmi d’autres qui ne tient pas compte de la répartition des richesses, du niveau de protection sociale ou de la qualité de vie.
La France, malgré ses difficultés, n’est pas le mauvais élève qu’on décrit parfois. Un PIB élevé peut masquer de profondes inégalités sociales si les gains sont concentrés dans une minorité de la population. De plus il ignore les spécificités du modèle social. La France investit massivement dans les services publics, la santé, l’éducation ou les retraites. Cela peut freiner artificiellement la « productivité » apparente, tout en garantissant une meilleure qualité de vie à long terme. Le PIB par habitant ne reflète pas nécessairement le bien-être global. Des pays avec un PIB plus élevé peuvent connaître un mal-logement plus marqué, un système de santé plus inégalitaire ou un accès plus restreint aux services publics.
En fait la performance économique de la France est beaucoup plus nuancée. Car, la France, malgré ses difficultés structurelles (endettement, chômage, complexité fiscale), reste une grande économie mondiale : elle est la 2ᵉ économie de la zone euro (derrière l’Allemagne), elle affiche une productivité horaire du travail parmi les plus élevées d’Europe, elle conserve une forte attractivité pour les investissements étrangers.
Il est donc excessif de la présenter comme un « maillon faible » de l’Europe. Le débat sur la production ou la compétitivité mérite mieux que des comparaisons simplistes ou simplificatrices.
Donc en résumé, pour clore ce Cheknews, il s’agit d’une déclaration à prendre avec beaucoup de recul, surtout quand elle sert à justifier des réformes économiques. On peut simplement constater que la France produit moins que l’Allemagne, c’est vrai, mais qu’elle ne produit pas 10 à 15 % de moins que « ses voisins » au sens large. Et surtout ce qu’il faut retenir, c’est que comparaison n’est pas raison : le PIB n’est pas l’instrument unique pour juger du fait que « la France est dans cette menace de surendettement parce qu’elle produit moins que ses voisins ». Rappelons qu’il n’y a aucun lien entre endettement et santé du pays, car l’endettement provient de la gestion de l’État, donc du gouvernement, pour alimenter en fonctionnement essentiellement des budgets en déficit, alors que le PIB est alimenté par l’économie nationale. On pourrait travailler plus, produire plus, tant que l’État ne réduira pas son train de vie, l’endettement se poursuivra. La preuve : en 2022 la France a enregistré un record historique avec 451 milliards d’euros de recettes fiscales collectées, et sa dette publique approchait 110 % du PIB. En 2023, la dette s’établissait à 110,6 % du PIB et le déficit budgétaire à 5,5 % du PIB.
En somme, la performance économique française est bien plus nuancée que ne le laissent entendre certains discours politiques alarmistes. Pour juger de la santé d’un pays, mieux vaut élargir l’analyse que de réduire la complexité à un chiffre choc. Il faut, par exemple, pour mieux comprendre, pondérer en tenant compte des réalités, utiliser des indicateurs comme le taux de pauvreté ou le taux des travailleurs pauvres (derniers chiffres connus 2022) :
– Taux de pauvreté : 14,5 % en France contre 16,7 % en Allemagne.
– Travailleurs pauvres : 7,2 % en France contre 9,8 % en Allemagne.
L’Allemagne affiche un niveau de pauvreté plus élevé, notamment chez les actifs. Malgré un taux de chômage plus faible que la France, la pauvreté est plus “intégrée” au marché du travail à cause d’une flexibilité poussée (temps partiel contraint, mini-jobs mal rémunérés).
En France, le filet social (SMIC, RSA, aides au logement…) réduit la pauvreté parmi les travailleurs.
Maintenant les lecteurs de Montceau News ont les données pour se faire une opinion solide.
Gilles Desnoix
Sources : INSEE, Destatis.de, Eurostat.europa.eu, FMI – World Economic Outlook Database, vidéo YouTube intitulée FB Direct, le Monde, Figaro.