La Claudine aime les Week-ends, mais parfois le lundi est le bienvenu
La Claudine a décidé de signer la chronique sanitaire d’un département à bout de souffle. Une semaine à galérer sur le net, au téléphone pour décrocher un rendez-vous de mammographie dans 3 mois, une place chez l’ophtalmo dans 24 semaines, à ne pas trouver de dentiste qui prenne de nouveaux clients. La coupe est pleine et la goutte qui la fait déborder a mis le feu aux poudres d’un coup de grisou.
Tendue et caustique, la Claudine a pris son plus beau clavier pour exprimer haut et fort ce qu’elle veut dire à ses concitoyens.
Ah, la Saône-et-Loire. Ses collines verdoyantes, ses villes au passé ouvrier, ses fromages, ses habitants au franc-parler… et désormais, ses soins de santé façon escape game sans la sortie.
Car ici, la Claudine s’en rend compte cruellement, tomber malade est devenu un luxe. Pas un petit rhume de rien du tout, non : un vrai luxe logistique. Avec carte, boussole et appli GPS, et encore, faut pas que la 4G saute. Bienvenue dans un département où consulter un médecin relève du miracle. Sauf qu’il n’y a pas de saints, juste des salles d’attente vides… de docteurs, mais pas vides de patients.
Généralistes sur la liste des espèces en voie de disparition :
Entre 2012 et 2022, la Saône-et-Loire a perdu 25 % de ses médecins généralistes. Autrement dit, les toubibs ont pris la poudre d’escampette, ils ont battu en retraite (très souvent bien méritée). En 2025, certains villages doivent se contenter d’un médecin pour 1 200 âmes. L’OMS en recommande un pour 850. Mais que voulez-vous, ici on aime vivre dangereusement.
À Montceau, l’hôpital a vu son service d’urgences filtré par appel au 15 (18 h–8 h), avec une régulation renforcée en mai-juin 2025. Depuis, si tu t’entailles le doigt après 21 h, prie fort ou prends la nationale jusqu’au Creusot. Si ton ambulancier est en forme et que t’as de la chance au feu rouge, tu peux espérer y arriver avant l’hémorragie fatale. Certains appellent ça de l’optimisme local, et pourtant, la Claudine en est consciente, les personnels du service des urgences de Montceau font admirablement bien leur travail dans des conditions loin d’être optimales.
Les ophtalmos, les cardiologues, les gynécologues ? On se croirait dans un nanar au titre : « Ophtalmo, cardio gynéco ? Chérie, j’ai allongé les délais !
Pour voir un ophtalmo à Montceau, certains attendent 9 mois. Un cycle de grossesse pour contrôler une myopie. On ne sait pas si c’est du soin ou de la gestation. Gynéco ? Prévoir un semestre. Cardiologue ? Prenez rendez-vous maintenant pour votre infarctus de 2026. Si vous survivez jusque-là, ce sera fêté.
La Claudine a autour d’elle des familles entières qui galèrent pour se soigner sans devoir passer leur temps sur la route en prenant des moments de congé pour jongler avec leur travail et les rendez-vous à pétaouchnok.
Bien entendu, des solutions voient le jour, parfois en trompe-l’œil.
Les maisons de santé sont-elles seulement des décors de théâtre ?
« Mais enfin, se dit la Claudine, on a construit plein de maisons de santé ! » Oui, madame, plein ! Des dizaines ! Avec de jolis murs et des pots d’inauguration. Sauf que les murs ne soignent pas. Et qu’un cabinet médical sans médecin, c’est un peu comme un train sans rails. Un concept sympa, mais relativement statique. Il existe 34 maisons de santé, mais le solde des médecins libéraux reste négatif (minimum moins 25). Les centres de santé départementaux, il en existe 6, + 22 antennes, qui salarient 70 médecins et dont les consultations sont en hausse marquée. Mais il y a quand même un déficit d’offre puisque le temps de travail des médecins salariés tourne autour des 35 heures alors que la moyenne hebdomadaire d’un libéral avoisine les 70 heures.
Et si l’on se penchait sur le fameux réarmement démographique appelé de ses vœux par notre président ?
En pédiatrie, les enfants sont les bienvenus mais les soins en option.
La Claudine se rend bien compte auprès de sa famille, de ses amies, qu’il y a un gros problème actuellement. Suivre un enfant ici ? Une aventure à la Tolkien. Moins de cinq pédiatres pour toute la CUCM. À ce rythme, on va finir par demander à l’instituteur de faire les vaccins entre deux dictées. Et pour les enfants avec un handicap ou des troubles du développement, il reste Dijon ou Chalon. À condition d’avoir une voiture. Sinon ? Il reste la foi.
Et la nouvelle grande cause ? La santé mentale, ce fameux soin qui devient invisible.
La Claudine avait applaudi la bonne nouvelle : le droit à huit séances gratuites chez le psy. Mais elle s’était renfrognée de suite car, mauvaise nouvelle, il faut d’abord en trouver un. Les psychologues conventionnés sont plus rares que les coquelicots en janvier. En psychiatrie, 30 % des postes sont vacants. Résultat ? Détresse à tous les étages. Familles déboussolées, urgences saturées… quand elles sont ouvertes.
Et pour la souplesse du corps ? Les kinés, c’est « reviens dans 6 mois si tu tiens encore debout ».
Tendinite ? Fracture ? Paralysie ? Les kinés sont là… dans 12 à 24 semaines, avec un peu de bol. La densité de praticiens est si faible qu’on pense bientôt les mettre sous cloche pour les préserver. Certains refusent même les nouveaux patients. Pas par méchanceté : par débordement. Ils sont les premiers à déplorer la situation, à se battre pour faire venir des nouveaux confrères, mais ça ne matche pas vraiment tant la vision du métier change pour les nouvelles générations et tant il manque de lauréats.
Des fois, la Claudine se désespère en ruminant tout ça et une question fuse à chaque fois : que font les pouvoirs publics ? Les premiers en ligne dans ce domaine, ce sont les élus. Et eux, ils sont entre combat permanent et désolation à long terme.
Il convient d’en être conscient, nos élus se démènent. On ne peut pas leur reprocher leur bonne volonté. Courriers, aides à l’installation, logements pour internes, secrétariat offert, médecine itinérante… On frôle le cirque Pinder. Mais l’ARS, en fait, c’est Paris. Et Paris ne voit pas très bien ce qui se passe au sud de la ligne de TER. On envoie donc des projets, on reçoit des plateformes. Et non, une IA ne remplacera jamais un vrai médecin dans une vraie salle. Les élus sont aux taquets sur la question mais les comptes font tousser. 25 % de généralistes en moins en 10 ans, moins de 10 pédiatres pour 550 000 habitants, 40 000 personnes dans le département sans médecin traitant, 1 poste de psychiatre sur 3 non pourvu, jusqu’à 12 semaines minimum d’attente pour un kiné, des urgences réduites ou fortement régulées à Montceau, Paray, Autun
Des statistiques restent inquiétantes avec les zonages ARS : zones prioritaires (ZIP) et complémentaires (ZAC).
En mars 2022, selon l’ARS Bourgogne‑Franche‑Comté, 296 communes étaient classées ZIP (zones d’intervention prioritaire) et 147 communes ZAC (zones d’action complémentaire) pour les médecins en Saône‑et‑Loire. Cela reflète une densité de professionnels significativement insuffisante. Au niveau régional, 76 % de la population vit dans une zone sous-dense, dont 36 % en ZIP et 40 % en ZAC. Selon l’INSEE, plusieurs bassins de vie ruraux pauvres, analogues à des zones comme le Morvan, cumulent une offre médicale limitée et un accès aux soins restreint : seuls 2,7 consultations de généralistes/an/habitant sont disponibles, avec de longues distances à parcourir pour atteindre un médecin. Côté Saône‑et‑Loire, les territoires les plus touchés incluent le sud du département, autour de Montceau-les-Mines et du Creusot, des zones rurales du Morvan, les communes périurbaines éloignées, où l’offre de soins est similaire à celle des zones rurales. Ceci implique que l’accès à un généraliste se trouve souvent à plus de 30 minutes de route, avec un temps de consultation souvent limité. Que l’installation de nouveaux praticiens se fait pour 79 % de la population régionale à coup d’aides à l’installation, avec jusqu’à 50000€ pour s’engager cinq ans dans une ZIP ou ZAC. Et malgré ces mesures, la démographie médicale reste préoccupante car la densité en médecins généralistes est de 82,8 pour 100 000 habitants en BFC, soit 4,3 points de moins que la moyenne nationale.
Au bout de toutes ses réflexions, la Claudine se dit : « Alors on fait quoi ? »
Elle ne demande pas la lune, ni un CHU à chaque carrefour, juste que le droit fondamental d’être soigné ne devienne pas un luxe d’urbain connecté. Que les enfants, les anciens, les précaires ne soient pas condamnés à souffrir en silence. Que le territoire du bassin minier, de la communauté urbaine, déjà marqué par l’abandon industriel, ne devienne pas une friche sanitaire.
Les élus ont lancé l’alerte. Les soignants enchaînent les gardes. Les citoyens se mobilisent. Il ne manque qu’un acteur : l’État. Celui qui peut, s’il le veut, redonner des soignants à ceux qui en ont besoin.
Lorsqu’elle se voit en Liberté guidant le peuple, le corsage fermé, la Claudine réclame haut et fort : un plan d’urgence national pour les zones rurales, des incitations efficaces et contraignantes pour les jeunes médecins, un soutien massif aux hôpitaux de proximité, une vraie politique de santé publique, pas de la com.
Puis elle se dit en souriant que râler, c’est encore un signe de bonne santé.
Parce que, ici, en Saône-et-Loire, râler, c’est vital. C’est la preuve qu’on est encore debout, encore là, encore fiers. On ne veut pas des miettes, ni des gadgets numériques. On veut juste des soignants. En chair, en os, et si possible à moins de 50 bornes.
Et si un jour, tomber malade redevient banal ici, promis, la Claudine arrêtera de persifler.
Mais ce jour-là n’est pas encore arrivé.
Gilles Desnoix