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lundi 23 juin 2025 à 06:44

La Claudine aime les week-ends, mais parfois le lundi est le bienvenu.



  

La Claudine est à bout, de souffle, de glaçons, d’éventail et de tout.

Vous parlez d’une semaine chaude, sur tous les plans. Côté mercure, le thermomètre est à deux doigts d’exploser. Côté information, ce sont les auditeurs et les téléspectateurs qui sont prêts à exploser tant on leur prodigue de conseils basiques qui font douter que l’humanité ait pu arriver saine et sauve à l’an 2025. Côté stress, quand on en a fini avec les missiles qui strient le ciel du Proche-Orient et de l’Ukraine, on est contraint d’entendre l’annonce des bulletins météo qui, après nous avoir inondé de reportages sur les pluies torrentielles, nous dessèchent à propos de la sécheresse qui nous guette à cause de la canicule. La Claudine n’en peut plus, elle a supprimé les écrans, la lecture des rubriques santé, vie quotidienne et autres conseils pour ne pas finir en tas de cendre si l’on ne se désaltère pas.

C’est la farandole des prévisionnistes, des alarmistes, des oiseaux de mauvaise augure. Chaque été ou presque, le mot revient en boucle sur les écrans, dans les journaux et les discours politiques : canicule. Derrière ce terme aujourd’hui banalisé se cache un phénomène aux multiples facettes, qui dépasse largement la seule montée des températures.

À la croisée du climat, de la politique, des médias et de la vie quotidienne, la canicule devient un révélateur aigu de nos inégalités sociales, de la capacité d’anticipation de l’État et du rôle central – souvent invisible – joué par les agents publics et les bénévoles. Voilà donc un phénomène climatique devenu chronique qui engendre les chroniques.

La canicule n’est plus un événement exceptionnel. En France, depuis celle dramatique de 2003, qui fit plus de 15 000 morts, le réchauffement climatique a aggravé la fréquence et l’intensité des vagues de chaleur. Les seuils d’alerte sont régulièrement atteints dès le mois de juin, et les pics peuvent durer plusieurs jours, voire semaines, affectant profondément l’organisation de la vie quotidienne.

Mais au-delà des températures, la canicule interroge notre rapport au territoire, à l’urbanisme (îlots de chaleur, bétonisation), à la sobriété énergétique (usage des climatiseurs) et à la capacité des politiques publiques à protéger les plus fragiles.

La Claudine se dit que ce sont les décideurs politiques, économiques, industriels, les urbanistes, les aménageurs qui possèdent une grande partie des solutions, pas forcément le citoyen lambda, pas les retraités pauvres et isolés, pas les pensionnaires des Ehpad.

La Claudine est consciente que le traitement des causes est complexe, compliqué, à long terme. Mais elle se rend compte que le traitement de ses effets est à l’ordre du jour un peu partout sur le territoire, mais certainement pas à la hauteur des enjeux. Les plans canicule sont un dispositif imparfait mais essentiel qui existe depuis 2004 (le plan national canicule [PNC)) et qui est activé chaque été. Il prévoit plusieurs niveaux d’alerte (de 1 à 4), en coordination avec Météo France, Santé publique France, les Agences régionales de santé (ARS), les préfectures, les mairies, les établissements médico-sociaux et les centres communaux d’action sociale (CCAS). C’est bien, pas encore parfait, pas encore suffisant, mais cela a le mérite d’exister. Le maillage territorial, indispensable, repose en grande partie sur le travail discret mais fondamental de milliers de fonctionnaires territoriaux (agents des CCAS, personnels des EHPAD, agents des services techniques) et de bénévoles associatifs (Croix-Rouge, Secours populaire, etc.) qui assurent les distributions d’eau, les appels téléphoniques aux personnes âgées isolées, les visites de prévention ou encore l’activation de salles climatisées.

Pourtant, ces dispositifs souffrent d’un manque de moyens, de fractures territoriales (inégalités entre communes rurales et urbaines) et parfois d’un pilotage trop centralisé. Nombre de mairies dénoncent la lourdeur administrative et le manque de personnels pour mettre en œuvre efficacement les mesures prévues.

Et puis, il y a le fameux ressenti, le fond de commerce des médias et de leur mise en spectacle de la chaleur. Chaque épisode caniculaire devient une séquence médiatique récurrente : journalistes filmant le bitume qui fond, thermomètres en surchauffe, images d’hippopotames arrosés dans les zoos… Une mise en scène qui banalise parfois le danger réel.

Cette couverture, souvent spectaculaire mais peu pédagogique, tend à infantiliser le public avec des messages simplistes : « Buvez de l’eau », « Ne sortez pas entre 12 h et 16 h ». Or, le véritable enjeu est structurel : quel accès à la fraîcheur pour les plus précaires ? Comment adapter durablement les logements, les écoles, les lieux de travail ?

Parfois, la Claudine aurait envie de rentrer dans l’écran pour dire leur fait aux baladeurs de micro sous le nez des passants accablés par les températures élevées. « L’hiver, il fait froid, au printemps, on tombe amoureux et l’été, il fait chaud. »

En cela, les médias peinent encore à jouer un rôle de médiation critique sur les politiques publiques menées et leurs insuffisances. Souvent, les médias ne sont que des courroies de transmission des organismes officiels de santé et gouvernementaux.

Pourtant, ces derniers devraient se rendre compte que ces canicules, ces phénomènes météo extrêmes sont pour eux une mise à l’épreuve du réel pour leurs politiques publiques.

La Claudine en est convaincue, la canicule agit comme un test grandeur nature pour l’action publique : efficacité des plans, coordination des services, résilience des infrastructures. Mais elle révèle surtout les angles morts des politiques sociales : isolement des personnes âgées, invisibilité des SDF, inadaptation du bâti dans les quartiers populaires, repli sur soi d’une partie des populations fragiles, individualisme forcené qui empêche de connaitre réellement ses voisins, disparition de l’empathie, etc.

Le « coup de chaud » n’est pas le même selon que l’on vit dans un pavillon avec jardin ou dans un 4ᵉ étage sans ascenseur ni volet. La justice climatique, revendiquée par de nombreux collectifs, exige que l’on ne traite pas la canicule comme un simple aléa météorologique, mais comme un enjeu social et politique majeur.

Et au milieu de tout ça, la Claudine reconnait, elle, des héros du quotidien peu reconnus. Car, face à ces défis, ce sont souvent les fonctionnaires de terrain – trop souvent précarisés ou invisibilisés – qui pallient les manques de l’État. Assistants sociaux, aides à domicile, agents territoriaux, secouristes bénévoles : leur réactivité, leur engagement et leur connaissance fine du terrain sont le véritable socle des plans canicule.

Sans eux, pas de veille efficace, pas de contact humain, pas de réponse à l’urgence. Il est temps que ces métiers soient valorisés, reconnus et dotés des moyens nécessaires pour répondre à l’intensification à venir de ces crises climatiques.

La canicule, par ses impacts multiples, agit comme le miroir brûlant de notre société.

La canicule, loin d’être un simple coup de chaud saisonnier, agit comme un révélateur brutal de nos fragilités collectives. Ce n’est pas seulement la planète qui surchauffe, mais aussi nos modèles sociaux, nos solidarités défaillantes, et parfois notre capacité à penser l’intérêt commun au-delà des bulletins météo. Derrière les rideaux tirés, les climatiseurs grésillants et les recommandations ressassées, ce sont des fonctionnaires territoriaux et des bénévoles qui tiennent la digue, souvent dans l’ombre, avec peu de moyens mais une volonté farouche.

La Claudine, elle, a compris que ce ne sont pas quelques conseils d’hydratation ou une infographie colorée sur la température ressentie qui changeront la donne. Il faudra plus qu’un ventilateur et un micro tendu sur un trottoir brûlant pour répondre à l’urgence climatique. Il faudra du courage politique, une redistribution des moyens, une vraie reconnaissance du travail de terrain, et peut-être, enfin, un peu moins de clim’ dans les studios télé et un peu plus de fraîcheur humaine dans les quartiers.

La Claudine en est sûre : la chaleur de demain se combat dès aujourd’hui – pas seulement avec des glaçons, mais avec de la justice sociale.

 

Gilles Desnoix

 

 

 






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