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lundi 9 juin 2025 à 06:05

La Claudine aime les week-ends, mais parfois le lundi est le bienvenu.



 

Tout un week-end à ruminer parce que la Carine s’est abondamment plainte à la Claudine de la disparition du bénévolat, du nombrilisme des gens, de leur égoïsme sur fond d’individualisation forcenée. En fait, il n’y a pas eu que la Karine. Dans les discussions chez le boulanger, chez le charcutier et au rayon fruits et légumes, il a bien semblé à la Claudine que le monde entier s’était ligué pour n’aborder que ce sujet sous moult angles d’attaque. Et c’est vrai également qu’elle a souvent constaté la situation, s’est interrogée sur le sujet. Mais trop, c’est trop : elle a donc décidé de passer son week-end à se documenter et à réfléchir au sujet pour en avoir le cœur net.

Le bénévolat dans les associations locales françaises, longtemps considéré comme le ciment de la vie sociale et culturelle, traverse une indubitable crise profonde. Dans les clubs sportifs, les chorales, les comités des fêtes ou les banques alimentaires, les visages familiers disparaissent. « On n’a plus assez de bras pour monter les stands de la fête du village », soupire le président d’une petite association culturelle en Corrèze. Ça a fait les titres locaux et sur France 3.

Les causes sont multiples. L’évolution des modes de vie est centrale : les Français jonglent entre travail, famille et loisirs. « On a envie d’aider, mais pas de s’engager tous les samedis pour dix ans ! », explique Chloé, 29 ans, jeune salariée à Paris. La Claudine se dit qu’il s’agit de la philosophie des nouvelles générations et que l’on en retrouve les effets partout, même dans le monde du travail et dans la façon d’aborder la vie de famille.

Dans le même temps, force est de constater qu’un des effets de cette nouvelle philosophie de vie se traduit dans le fait que plus de 40 % des bénévoles réguliers ont plus de 60 ans (sur les 5,5 millions de bénévoles actifs). Une génération qui s’est longtemps sentie investie d’une mission sociale, mais qui peine à être relayée par les jeunes. Ces derniers ont parfois du mal à s’identifier aux structures traditionnelles, jugées trop rigides. La Claudine tend à nuancer cette vision des choses, car elle a trouvé des statistiques qui laissent penser qu’un changement s’opère. En France, le bénévolat associatif connaît une évolution notable en termes de répartition par âge. Selon l’étude « La France bénévole 2024 » menée par Recherches & Solidarités, les jeunes de 15 à 34 ans représentent désormais 26 % des bénévoles associatifs, devenant ainsi la tranche d’âge la plus impliquée. Cette proportion est en augmentation de 10 points par rapport à 2010. En parallèle, la part des bénévoles âgés de 65 ans et plus a diminué, passant de 35 % en 2010 à 23 % en 2024. Cette baisse est attribuée à divers facteurs, notamment le recul du bénévolat régulier et les changements dans les modes de vie des seniors. Il est également observé que l’engagement bénévole tend à devenir plus ponctuel. En 2024, seulement 9 % des Français bénévoles consacrent du temps chaque semaine à une association, contre 12,5 % en 2010.

La Claudine en retire comme constatation que ces tendances indiquent une recomposition du paysage associatif français, avec une implication croissante des jeunes générations et une diminution de l’engagement régulier des seniors. Mais là aussi le constat est en demi-teinte, car chez les 35-49 ans, en 2023, seuls 22 % de cette tranche d’âge étaient engagés bénévolement, et la tendance générale indique une stabilité ou une légère baisse. Et chez les 50-64 ans, la même année, tout juste 19 % des personnes de cette tranche d’âge participaient à des activités bénévoles, contre 22 % en 2019, montrant une diminution notable de l’engagement.  Cette baisse d’engagement chez les 35-64 ans est préoccupante pour les associations, car ces bénévoles apportent souvent une expertise précieuse et une stabilité organisationnelle. Le recul de cette « colonne vertébrale » du bénévolat met en lumière la nécessité pour les associations de développer des stratégies adaptées pour mobiliser et retenir ces tranches d’âge clés. En France, on recense 12,5 millions de bénévoles en 2024, dont 5,5 millions actifs sur un total de 23 millions d’adhérents et de licenciés (21 millions en 2008). Parmi ces derniers, 16 millions le sont dans des structures et des clubs sportifs. Et Les 18-34 ans sont de plus en plus engagés : 26 % s’engagent régulièrement, 44 % ponctuellement. Ils se mobilisent prioritairement dans le sport (42 %), puis culture & loisirs (35 %), puis humanitaire et environnement (~22 %).

En fait, la part des jeunes se retrouve concentrée dans 3 domaines d’activités en lien avec les tendances profondes de la société. Dans les autres domaines, souvent les tranches plus âgées dominent et fournissent le contingent des bénévoles.

La Claudine se pose la question : s’agit-il d’une crise sociétale ou d’une mutation de l’engagement ?

Des sociologues comme Jean Viard parlent d’une « démocratie d’intermittents ». L’engagement n’est plus linéaire, mais ponctuel, opportuniste. Robert Castel y voit un symptôme de déliaison sociale, tandis que Cynthia Fleury alerte sur la perte d’une « responsabilité démocratique collective ». À les écouter, à les lire, il existe des raisons d’espérer : de nouvelles voies à explorer et, en effet, des signaux positifs apparaissent. Les formes d’engagement évoluent : mécénat de compétences en entreprise, plateformes comme JeVeuxAider.gouv.fr, missions ponctuelles à distance ou en présentiel. Des figures comme Camille Étienne ou Alice Barbe illustrent cette génération d’engagés du XXIe siècle, connectés, militants, créatifs.

On peut aussi remarquer que l’action publique accompagne, car avec la loi d’avril 2024, le gouvernement tente de faciliter et valoriser l’engagement : CPF accessibles aux bénévoles, dons de jours de repos, allégement des démarches. Le fonds de développement de la vie associative et les dispositifs comme Guid’Asso se renforcent.

La Claudine tombe d’accord en partie avec le philosophe Hartmut Rosa qui souligne que ce qui manque aujourd’hui, c’est la résonance. Le temps d’être touché, transformé par une cause. Ralentir, redonner du sens et réenchanter le collectif : voilà le véritable défi pour renouveler l’élan bénévole.

Mais toute transformation est lente à la fois dans les structures, les habitudes, les partis-pris et le renouvellement des personnes se dévouant pour les autres et leurs passions. Oui, souvent, hors des grands ensembles, des grands domaines d’intérêt, dans les petites structures, ce sont toujours les mêmes qui sont à la tâche, qui s’usent et se font souvent critiquer. Mais cela ne veut pas dire que l’avenir du bénévolat est bouché ; cela sous-entend qu’il doit évoluer, se transformer à l’image de la société. Et ça, c’est le plus dur à avaler.

 

Une étude du Sénat remet les choses en perspective : le bénévolat est estimé à environ 12–17 milliards €, soit entre 1 et 2 % du PIB français. Ce sont les montants de ce que coûterait à la collectivité ce temps de bénévolat s’il fallait le remplacer par des salariés. Et encore cette valeur ne prend pas en compte des bénéfices immatériels : cohésion sociale, lien, éducation, santé publique, etc., pourtant tout aussi précieux.

Pourquoi une fourchette si large, 12–17 milliards € ? Cela provient du mode de chiffrage par le choix de valorisation : SMIC (valeur basse) vs salaire moyen (valeur haute) ; de la méthodologie : remplacement direct (coût de poste équivalent) ou valorisation forfaitaire ; des données utilisables : certaines incluent le temps partiel régulier, d’autres incluent tout contact occasionnel. Mais même avec le montant le plus bas, cela reste un apport important à la société.

La Claudine va donc pouvoir rediscuter le morceau avec la Carine et en avançant des bons arguments.

 

Gilles Desnoix

 

Sources.

francegenerosites.org

francebenevolat.org

cnews.fr

europe1.fr

carenews.com

associatheque.fr

linfodurable.fr

 






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