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vendredi 8 février 2019 à 19:22

« Désespoir minuscule » (Politique)

L’Association des Maires de Saône-et-Loire aux côtés des maires démissionnaires du Clunisois mais pas seulement...!



 

 
 

La lettre reprenant les préoccupations et les questionnements des adhérents de l’association des maires de Saône-et-Loire, remise, hier  par Me Jarrot au président de la République :

 

« Notre histoire est minuscule et pourtant hautement symbolique de la relation désespérée des élus ruraux, ces « fantassins de la République », au pouvoir parisien.

Le 21 janvier dernier, nous maires et président de communauté de communes ruraux, avec dix conseillers municipaux de nos communes, avons remis au Préfet de Saône-et-Loire un préavis de démission. Notre geste de protestation et de résistance entrera en vigueur dès que le gouvernement aura officialisé la carte qui privera les éleveurs des 8 communes les plus escarpées de notre territoire, de l’indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN). Cette indemnité représentait la moitié des revenus dérisoires des 30 exploitations concernées.

Nos 8 communes étaient en effet jusqu’à présent, en toute logique, classées en zone défavorisée : les critères biophysiques du règlement européen qui régit l’octroi de l’ICHN y étant pleinement respectés. Les 36 autres communes de notre communauté, pourtant moins défavorisées pour l’élevage, conserveront quant à elles le bénéfice de l’ICHN.

La raison de ce paradoxe, est que le ministère de l’agriculture a décidé d’utiliser, comme base de la nouvelle cartographie des zones défavorisées, un zonage de 1946. Dans la première moitié du 20ème siècle, l’activité agricole dominante des 8 communes était la viticulture. A l’époque, elles avaient donc été rattachées à la « petite région agricole » (PRA) du Mâconnais.

Près d’un siècle plus tard, alors que l’élevage extensif a remplacé la viticulture sur nos coteaux de l’est-Clunisois, le rattachement inchangé de nos communes au Mâconnais, terre de viticulture prospère, a pour conséquence, en moyenne sur cette PRA, un niveau élevé de revenu agricole. Ce niveau de revenu, qui ne concerne pourtant pas nos communes, élimine leurs éleveurs du bénéfice de l’ICHN.

Comble de malchance pour nos exploitations : leurs pâturages ont été classés « prairies sensibles » par le ministère de l’agriculture, afin que soit préservée la biodiversité extraordinaire de ces pelouses calcaires. En clair, le labour de ces prairies y est interdit. Les éleveurs sont donc condamnés à poursuivre une activité qui, sans ICHN, ne leur permettra pas de survivre dans la durée.

Nous avons tenté d’alerter les autorités nationales et européennes sur l’absurdité de la situation et l’injustice flagrante dont notre territoire est victime. Las, aucun de nos courriers adressés au ministère de l’agriculture, pour demander que soit réactualisé le périmètre des PRA du Mâconnais et du Clunisois, n’a suscité la moindre réponse. La Commission européenne a, quant à elle, rapidement réagi, nous indiquant que la délimitation précise des « petites régions agricoles » françaises était de compétence purement nationale. Une manifestation de désespoir, organisée fin août 2018 par nos éleveurs, et relayée par la presse nationale, a fini par susciter une réaction du cabinet du président de la République.

Mais les ministres successifs de l’agriculture ont campé sur la position de leurs services : reconnaissant la légitimité de notre revendication, ils ont néanmoins considéré que retoucher le zonage obsolète de 1946 ouvrirait une boîte de Pandore. Le Clunisois est in fine considéré par Paris comme « victime collatérale » d’un classement qui, à l’échelle nationale, optimise, aux yeux des ministres et de leurs services, le nombre de communes éligibles à l’ICHN.

En creusant plus avant la méthodologie du ministère, nous avons fini par constater que pour optimiser les performances de la « ferme France » en matière d’éligibilité à l’ICHN, le ministère de l’agriculture avait procédé à une réactualisation de certaines PRA devenues trop hétérogènes, suite aux évolutions de l’activité agricole depuis 1946. Mais ces retouches n’ont concerné que les PRA figurant parmi les 10 % les plus étendues, donc pas celle du Mâconnais.

Nous avons fait valoir que la décision de ne retoucher que les PRA comptant parmi les plus grandes, est un signe indiscutable de rupture d’égalité entre les territoires. Nous avons indiqué que si le ministère acceptait de procéder à l’actualisation du périmètre, indépendamment de la taille des PRA, il augmenterait encore le nombre de communes éligibles à l’échelle nationale, sans qu’aucun autre territoire ne soit déclassé. Le ministère ne réfute aucun de nos arguments, mais il préfère prendre le risque d’avoir à obtempérer à l’injonction d’un tribunal dans quelques années, plutôt que de donner suite immédiatement à la demande de quelques élus ruraux et éleveurs.

Cette attitude est symptomatique des raisonnements byzantins de l’administration centrale française, prise aux rets de ses statistiques obsolètes, devenue sourde et aveugle aux réalités, pourtant criantes, du terrain. Alors que le débat national bat son plein, nous témoignons, avec tristesse et colère, qu’aucun souffle nouveau ne met l’administration centrale en mouvement.

Nous ne sommes malheureusement pas étonnés qu’au-delà de notre cas minuscule, la perte de confiance et la désespérance ambiante touchent à leur paroxysme dans les territoires ruraux.

Dominique Dehouck, maire de Bray (130 h), Joëlle Delsalle, maire de Berzé-le-Châtel (57 h), Pierre-Jean Bardin, maire de Cortambert (240 h), Jean-Luc Delpeuch, président de la communauté de communes du Clunisois (13 750 h)

« Monsieur le Président,

Notre mandat qui arrive à sa fin est sans doute l’un des mandats les plus difficiles que nous ayons connu.

L’échéance des prochaines élections municipales se rapproche et nombreux sont en effet les élus qui se posent légitimement la question de savoir si dans ce véritable marathon qu’est la vie publique, auquel on ajoute des haies et des obstacles, ils parviendront à franchir la ligne d’arrivée…

La réalité dont je souhaite vous faire part est celle de nombreux maires, qui expriment leur sentiment de « ras-le-bol », souvent repris par la presse, et ce alors qu’une année nous sépare encore des prochaines échéances électorales.

Un « ras-le-bol » :

 face à la situation financière de leur collectivité

 face au renforcement des contraintes administratives et financières qui pèsent sur les collectivités

 face à la disparition des services publics(fermeture de classes, voire fermeture d’écoles,

particulièrement en milieu rural), et des services nécessaires à la satisfaction des besoins de la population en milieu rural (fermeture d’agences bancaires ou réduction des services proposés dans celles-ci)

 ou encore face à la multiplication des réformes et des changements qui obligent les collectivités à sans cesse s’adapter…

OUI, les raisons susceptibles de nous faire « craquer », sont nombreuses.

Mais contrairement à l’idée qui a pu se développer dans les médias, nous tenons bon ! Et si l’on regarde les chiffres en Saône-et-Loire, très peu d’élus ont finalement fait le choix de ne pas aller jusqu’au bout de leur mandat.

Toutefois, et notamment après la loi NOTRe, qui nous a contraints à nous adapter dans de nombreux domaines, nous avons besoin, comme bon nombre de nos concitoyens, de souffler…

La question qui peut véritablement être posée, c’est combien d’entre nous seront prêts à se représenter en mars 2020 ?

Combien d’entre nous souhaiteront une nouvelle fois consacrer toute leur énergie à leurs territoires, au détriment souvent de leur vie personnelle, alors même qu’un sentiment de dénigrement, en témoigne l’épisode parfaitement honteux que nous avons connu récemment avec le hashtag #Balancetonmaire, et d’abandon, se fait de plus en plus prégnant ?

« Il faut être un peu fou pour être maire ! » nous disent assez régulièrement des administrés attentifs…

Dans le cadre de la préparation de notre assemblée générale, qui s’est tenue le 09 novembre dernier, nous avons invité nos adhérents à nous faire part de leurs inquiétudes et de leurs questionnements. 5 sujets majeurs ont été recensés par l’Association des Maires de Saône-et-Loire.

1. Ressources des collectivités

– Baisse des dotations

Plusieurs communes ont vu des éléments de leur DGF fortement diminuer en 2018.

Je citerais, par exemple, la commune de Saint-Loup-Géanges qui a été extrêmement touchée (- 68 491 €), ainsi que Bruailles (- 41 564 €).

D’autres communes ont subi des baisses (Cheilly-les-Maranges, Lacrost), mais moins conséquentes.

Ces baisses ont suscité beaucoup d’incompréhension, dans la mesure où cette situation allait à l’encontre du message relatif à l’arrêt de la baisse des dotations véhiculé par le Gouvernement, et occasionné de sérieuses difficultés aux collectivités les plus impactées.

Il est capital de mettre en place des solutions permettant d’atténuer considérablement les conséquences de baisses si brutales.

– Craintes au sujet de la compensation de la suppression de la taxe d’habitation

Plusieurs adhérents ont exprimés des craintes au sujet de l’importance de la compensation (compensation à l’€ près) et de la pérennité de cet engagement de l’Etat.

Aujourd’hui, nombreux sont celles et ceux qui craignent pour leur autonomie fiscale.

Ce dont nous avons besoin, c’est de visibilité ! Et de stabilité !

Cela est indispensable pour savoir dans quelle mesure nos collectivités vont pouvoir faire face à leurs obligations et contraintes nouvelles.

2. Evolution des intercommunalités

Nous avons enregistré de nombreux retours au sujet de la multiplication des transferts de compétence, avec notamment le transfert obligatoire des compétences « eau » et assainissement », ou de l’harmonisation des compétences au sein d’un ECPI issue d’une fusion.

Et tout cela alors que l’ensemble des incidences de la loi NOTRe sont encore loin d’être digérées…

Qui plus est, avec le sentiment que le fonctionnement des EPCI est devenu plus technocratique, certains élus s’interrogent sur leur place dans ce nouveau paysage territorial post-Loi NOTRe.

Quelle sera la commune de demain, dépourvue de ses prérogatives et de ses compétences au bénéfice de structures dont le fonctionnement est vécu comme étant de plus en plus lourd ?

3. Accès aux services nécessaires à la satisfaction des besoins de la population en milieu rural

Les élus sont notamment préoccupés :

 par la problématique de l’accès aux soins, qui doit reposer sur un maillage territorial équilibré, des parcours de soins sécurisés et de véritables hôpitaux de bassin de vie ;

 par les fermetures de classes, voire d’écoles, ainsi que la volonté de favoriser le regroupement au sein de pôles ;

 ou encore, par la vague de fermeture d’agences bancaires (Crédit Agricole), ou encore, la réduction des services proposés (La Banque Postale).

4. Augmentation des incivilités en milieu rural et des violences urbaines

Plusieurs communes nous ont signalé des problèmes d’incivilités mettant en cause des mineurs (destructions ou dégradation de biens publics, notamment). Certaines d’entre elles, d’ordinaire très calmes, ont même envisagé de prendre des arrêtés interdisant les attroupements de jeunes !

Les élus manquent de moyens et d’outils, notamment pour assurer la prévention de ce type de comportements, et se trouvent ainsi désemparés.

5. Complexité et multiplication des normes

Ce sujet est une préoccupation qui revient très fréquemment ! Nous n’avons de cesser de l’évoquer depuis plusieurs années, tout le monde convient qu’il est nécessaire de mettre un terme à cette situation, et pourtant…

Je citerais comme exemples récents le cas de commande publique, avec la dématérialisation obligatoire depuis le 1er octobre 2018, pour les marchés de 25 000 € HT et plus, ou encore la mise en œuvre du Règlement général sur la protection des données, avec notamment l’obligation de désigner un délégué à la protection des données.

Enfin, un grand nombre d’élus ont également souligné la difficulté particulière à mettre en œuvre les procédures pour les immeubles menaçant ruine, dans la mesure où la collectivité se retrouve très souvent dans l’obligation de réaliser d’office les travaux nécessaires pour faire cesser la situation, sans disposer véritablement des moyens leur permettant de recouvrer les sommes avancées après des propriétaires défaillants.

Il est également de mon devoir, en tant que Présidente de l’Association des Maires de Saôneet-Loire, de vous faire part également de la situation très préoccupante de 8 communes du Clunisois. Ces dernières n’ont pas été incluses dans la liste indicative des communes classées en « Zone Défavorisée Simple » (ZDS). Les 36 autres communes de la communauté de communes du Clunisois sont incluses au projet de ZDS. La raison de l’exclusion de ces communes d’élevage, qui respectent les critères biophysiques européens relatifs aux handicaps naturels, est leur rattachement historique à la « Petite Région Agricole » (PRA) du Mâconnais, à dominante de viticulture. La conséquence de cette anomalie est de priver 29 exploitations d’élevage du bénéfice de « l’Indemnité Compensatrice de Handicaps Naturels » (ICHN), qui représente la moitié du revenu de ces exploitations. Les élus concernés ont sollicité le Ministre de l’Agriculture, Didier GUILLAUME, afin qu’une retouche des PRA du Mâconnais et du Clunisois soit opérée, mais cette modification a été refusée par le cabinet du ministre le 19 janvier dernier. Cette situation plus que malheureuse, d’autant plus que les exploitations agricoles subissent une crise sans précédent, a amené 14 élus à présenter récemment au Préfet leur démission.

Sur cette problématique particulière, comme sur les autres sujets évoqués, il est important que l’Etat soit à l’écoute des inquiétudes des « fantassins de la République », et que des solutions équilibrées et pragmatiques puissent être trouvées, car il en va de l’avenir de nos territoires.

Vous en avez parfaitement conscience, dans le contexte national que nous connaissons depuis plusieurs semaines, que notre pays a plus que jamais besoin de ses élus locaux, de leur engagement quotidien, de leur investissement personnel.

Etre l’interlocuteur de nos concitoyens, de leurs attentes, de leurs craintes, voire de leur colère, n’est pas une tâche facile. Pour autant, nous assumons tous cette responsabilité quasiquotidienne, car nous constituons les piliers de la cohésion sociale, du service public local et de l’organisation décentralisée de notre pays.

Nous restons bien évidement mobilisés, mais nous souhaitons qu’un véritable dialogue, franc, équilibré et constructif s’engage avec l’Etat. Nous croyons fermement en une République décentralisée, respectueuse de la diversité de ses territoires, des libertés locales, et des élus locaux qui allient la force de la proximité et la légitimité du suffrage universel direct. »

Marie-Claude JARROT

Présidente de l’Association des Maires de Saône-et-Loire

Association maires saone et Loire 090219



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