Faits divers : Montceau
C’est l’histoire de ceux qui sont persuadés d’avoir un truc en plus et qui en profitent pour agresser celui qui semble avoir un truc en moins, sauf qu’on n’est pas au cinéma et c’est ce dernier qui se retrouve à la barre parce qu’il a explosé de colère, de rage. D’impuissance, aussi.
Il est dommage, en un sens, que ce dossier ait été orienté en CRPC, le « plaidé coupable ». Car si le prévenu a reconnu avoir, le 18 novembre dernier, à une station-service de Montceau, poursuivi un autre homme, le menaçant, un couteau à la main, il ressort de l’audience que le couple qui se fichait de lui a tiré le premier mais habilement -pour le dire gentiment-, sans passage à l’acte.
Au regard de la loi, y a pas photo : le prévenu a commis des violences avec usage ou menace d’une arme. Au regard de la provocation dont sont capables certains et de l’altération du discernement du prévenu, ça pouvait donner lieu à débat.
Une courte histoire, au plus près de la sauvagerie ordinaire entre humains
En CRPC, point de débat sur le fond puisque la culpabilité est d’ores et déjà reconnue et que le procureur de la République vient de proposer une peine au prévenu. Peine acceptée. Pour autant le juge chargé de l’homologation examine l’ensemble du dossier, confronte le prévenu à ses actes, puis regarde si la peine lui paraît adaptée, aux faits comme à la personnalité du prévenu. Parfois ça coince. Ce jeudi ça va coincer, on va voir pourquoi.
Y aurait-il ceux qui ont un p’tit truc en plus et ceux qui auraient un truc qui manque ? C’est la question qui se dégage de l’audience d’homologation de ce jeudi 27 juin. Une courte histoire, au plus près de la sauvagerie ordinaire entre humains et de la grande incompréhension qui règne entre eux, c’est un fait.
L’architecture du droit est une œuvre de civilisation (lois légitimes, s’entend)
Mais la réalité est moins champêtre que le film sur le truc en plus car en réalité, une chose met les êtres humains au même niveau : leur agressivité. C’est en cela que l’architecture du droit est une œuvre de civilisation. La loi ordonne les relations (elle met de l’ordre) et pose des limites, c’est du reste tout l’intérêt du droit : permettre à chacun de vivre et d’exister au lieu de lâcher violence et agressivité* sur autrui, et ce, quelle que soit sa fonction ou sa place dans la société.
Tous au même rang, de ce point de vue, d’où les interdits que les tribunaux rappellent chaque jour : il est interdit de frapper, d’insulter, de menacer, de tuer, il y a des limites à la liberté d’expression, etc.
Les faits
Le prévenu, 33 ans, vit dans la campagne vers Montceau. Il était en ville, ce 18 novembre 2023, lorsqu’il s’est arrêté pour faire le plein. Au départ, aucune voiture en attente. Une BM arrive. Un couple est à bord. Monsieur conduit et ne tarde pas à manifester « une certaine impatience » dit la présidente Croissandeau. « La personne donnait des coups d’accélérateurs, et la personne, elle rigolait » dit le prévenu. « S’ensuit une altercation verbale » dit encore la juge. « Le monsieur sort de sa voiture et me dit ‘Monte dans ta voiture, connard !’ » Le prévenu s’est saisi d’un couteau de cuisine qui se trouvait dans sa voiture (il a expliqué la présence du couteau, mais c’était inaudible, ndla) et, ainsi armé, il court après « le monsieur ».
« Est-ce que vous croyez que c’est une réaction adaptée à la situation initiale ? »
La présidente lit un extrait de la déposition de celui qui entend se constituer partie civile, qui n’est pas à l’audience mais a pris une avocate pour défendre ses intérêts. « Il a levé son bras en disant ‘je vais te planter, tu ne me connais pas, je suis un voyageur’. J’ai couru, puis me suis retourné, il était vers la BM à essayer d’ouvrir une porte. » Madame était dans la voiture, un médecin a fixé 3 jours d’ITT.
La présidente : « Est-ce que vous croyez que c’est une réaction adaptée à la situation initiale ? » Le prévenu : « Ben non. Mais clairement j’ai pas dit ‘je suis un voyageur’ ! J’ai pas dit ça, je suis pas un gitan. C’est quelqu’un d’autre qui a dit ça. Donc c’est un peu déformé. »
Ne pas coller n’importe quoi sur le mot « psychotique »
Le médecin expert-psychiatre avait rendu une expertise du prévenu en mars 2023. La présidente s’y réfère. Le prévenu bénéficie d’un régime de protection civile, il est sous curatelle renforcée depuis plus de dix ans. C’est une personne vulnérable, qui souffre d’une « pathologie psychotique chronique » écrit le psychiatre.
A cet endroit on précise : cela lui rend la vie plus compliquée sur certains plans, il a un abord particulier mais en aucune cas ce n’est synonyme de « dangereux ». Certains le sont mais aussi bien, les cours d’assises ou les cours criminelles jugent des tas de gens qui ne souffrent d’aucune pathologie psychiatrique, alors on ne devrait pas se servir du mot « psychotique » pour coller n’importe quoi dessus.
Le prévenu présente des excuses à ceux qu’il a effrayés. Il manque les leurs, d’excuses
Le psychiatre est à ce sujet très clair : les faits sont la « conséquence d’une situation conflictuelle », that’s all. Il retient cependant l’altération du discernement parce qu’un psychotique n’aborde pas les choses comme un névrosé, ou un bienheureux qui n’est ni psychotique ni névrosé.
Le prévenu présente des excuses à ceux qu’il a effrayés. Il manque les leurs, d’excuses.
Son casier est néant, il a travaillé en ESAT pendant 10 ans mais des problèmes sérieux de santé physique l’empêchent, désormais.
La curatrice, cœur de l’audience
La femme qui représente l’organisme de tutelle à l’audience est connue de la juridiction. Elle y a gagné une crédibilité, elle tâche d’apporter aux tribunaux les informations les plus fiables qui soient, elle ne se dérobe pas devant la difficulté d’avoir à dire parfois des choses pas favorables aux prévenus. Et, ce jeudi, que dit-elle ?
« Nos relations avec monsieur sont très, très bonnes. Ça nous a étonnés, cette histoire. Monsieur est autonome, il gère son budget et ne cause jamais de problèmes. Il était embêté d’avoir réagi ainsi. Ils (les victimes à l’audience) ont dû pousser le bouchon jusqu’à ce qu’il explose. Ils ont quand même dû l’embêter pour qu’il fasse ça. »
Le prévenu explique qu’on l’a souvent moqué, insulté, traité de « trisomique » …
… « Le 18, il a rigolé, alors j’ai eu des images. » La juge tient sa position avec humanité, sans sermonner, moraliser inutilement (c’est-à-dire à contre-courant du sens de la loi, dire la loi n’est pas un concours de vertu, ndla) : « On comprend. Mais ça ne justifie pas votre comportement. »
Refus d’homologation de la peine
On en vient à la peine proposée : 50 heures de travail d’intérêt général (TIG). « En milieu ordinaire ? Sans aménagement ? Je m’interroge sur la pertinence de cette peine » dit la présidente. L’avocate du prévenu intervient : « Madame la procureur pensait qu’il pourrait faire ces heures dans un ESAT, par petites tranches. » Des heures de TIG en milieu protégé, cela se pratique-t-il ?
« Je n’ai pas la main sur la peine, explique la juge au prévenu. J’homologue en bloc ou pas du tout. Pour moi, cette peine est inadaptée à votre personnalité (les soucis de santé qui ont éloigné monsieur du travail, ndla). Je refuse l’homologation. Le dossier sera renvoyé devant un tribunal, vous serez reconvoqué. »
FSA
* Freud écrivait, dans Malaise dans la civilisation, livre paru en 1930 : « « L’homme n’est point cet être débonnaire, au cœur assoiffé d’amour, dont on dit qu’il se défend quand on l’attaque, mais un être, au contraire, qui doit porter au compte de ses données instinctives une bonne somme d’agressivité. Pour lui, par conséquent, le prochain n’est pas seulement un auxiliaire et un objet sexuel possibles, mais aussi un objet de tentation. L’homme est, en effet, tenté de satisfaire son besoin d’agression aux dépens de son prochain, d’exploiter son travail sans dédommagements, de l’utiliser sexuellement sans son consentement, de s’approprier ses biens, de l’humilier, de lui infliger des souffrances, de le martyriser et de le tuer. Homo homini lupus : qui aurait le courage, en face de tous les enseignements de la vie et de l’histoire, de s’inscrire en faux contre cet adage ? »
Note – ce dossier nous a immédiatement évoqué un autre (une station-service également), ici :
https://www.info-chalon.com/articles/2017/10/20/33358/tribunal-de-chalon-a-la-station-d-essence-de-mercurey-l-histoire-se-termine-au-tribunal/