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samedi 15 juin 2024 à 06:05

Faits divers : Montceau-Blanzy



 

Le 28 août 2022, un habitant de Gourdon appelle la gendarmerie : un homme grièvement blessé s’est réfugié dans son jardin. L’homme est nu, le corps coupé et lacéré d’entailles, le visage tuméfié. Il est déshydraté et épuisé. 

Une fois les forces de l’ordre et les secours sur place, le blessé est évacué sur le CHU de Saint-Vallier. Une enquête démarre. L’affaire est jugée ce vendredi 14 juin devant le tribunal correctionnel (trois juges). Madame Verger préside et conduit une instruction avec quatre prévenus (un absent, handicapé, problème de déplacement apparemment) de main de maître : elle est claire, précise, égale à elle-même et parvient à faire avancer l’ensemble face à des gens qui ne vivent que du milieu des stups, de ses manières, de ses méthodes de ses enjeux, et ses embrouilles incessantes. 

Les faits tels que la procédure les expose

Le 22 août 2022, X (la future victime) se rend au quartier du Plessis à Montceau, pour acheter de la cocaïne et voir s’il ne pourrait pas devenir revendeur. Houssem D., son fournisseur de drogues, lui remet alors une sacoche contenant de la cocaïne. 
La victime dit que le 25 août, on lui vole la sacoche. Le 26, X se décide à le dire à Houssem, et son calvaire commence car Houssem D. réagit comme on réagit dans ce milieu où on tient l’autre par la force et la domination. Il dit ne pas croire X et exige le remboursement de la drogue. 
A l’audience, Houssem soutient qu’il n’y en avait que « pour moins de 300 euros », alors que les gens vers qui X s’est tourné, affolé, témoignent de ce qu’il en cherchait 7000… La présidente ne laisse pas passer : « Et vous allez commettre l’ensemble de ces infractions pour 300 euros ??? »

« L’ensemble des infractions », du 26 au 28 août 2022 

D’abord des coups, des coups, des coups. Alexandre A., 32 ans, s’y colle et cogne, cogne, cogne, jusqu’à casser la batte de baseball sur le tibia de X, « tellement il a peur pour lui-même », rappelle la présidente. A l’audience, le prévenu fait presque pitié : un peu affaissé, éteint, et servant encore la soupe au dominant (assis juste à côté de lui dans le box). Éteint : on apprend que le malheureux vit sous neuroleptiques etc., un traitement qui l’assomme mais qui pour autant ne retient pas ses poings. Malheureux, sur un certain plan, donc.

« A chaque fois que je fermais les yeux, on me donnait une baffe »

Les coups ne cessent pas, on empêche X de s’endormir. « A chaque fois que je fermais les yeux, on me donnait une baffe. » Pendant un premier trajet, c’est Pascal G. qui s’y était mis, « pour qu’il avoue ». Il ne s’arrêtera que parce que sa propre fille l’attend dans sa voiture à lui. 
Puis Houssem D., Alexandre A. et Mehdi B. prennent la suite. Batte de baseball, tendeurs, sécateur, crosse de fusil. 
X passe des appels, cherche de l’argent, en vain. Alors qu’il est déjà blessé et complètement amoché, insulté sans relâche également, terrorisé et épuisé, on arrive au dimanche 28 août.

X est embarqué dans le coffre de la voiture, nu sur des morceaux de verre

Houssem D. contraint X à ramasser des tessons de bouteille, des bris de verre, et à se mettre nu. « C’était pas prémédité » soutient « Houss’ » à l’audience. Pour autant il dit ne pas savoir d’où ça lui est venu, de coucher un homme nu sur des morceaux de verre, de fermer le coffre sur sa victime puis de démarrer et de rouler « en mode rallye » comme l’a dit un coprévenu.
C’est pourtant typique des méthodes de ce milieu qui prend le mot « coffrer » (au sens familier : emprisonner) dans un sens bien à lui : coller dans un coffre, et transporter une personne, « comme un paquet » dit la présidente. Un paquet saignant, forcément, les éclats de verre remplissant leur office. A la faveur d’un arrêt de la voiture, X s’échappe, se cache puis trouve secours chez des particuliers à Gourdon.

« Quand j’étais blessé, j’étais à 8 ou 9 sur l’échelle de 10, de douleurs physiques »

X a un mois d’ITT, mais le légiste estime qu’à ce jour son état n’est pas consolidé. Certaines plaies ont été suturées, tout a cicatrisé depuis le temps, mais il reste un traumatisme certain.
Raison pour laquelle maître Mirek sollicite une nouvelle expertise médicale et un renvoi sur intérêts civils. « Les prévenus étaient prêts à ôter la vie d’un jeune homme de 26 ans, pour une sacoche dont le contenu valait 300 euros » dit-elle pour la victime, rappelant les propos de X : « Quand j’étais blessé, j’étais à 8 ou 9 sur l’échelle de 10, de douleurs physiques. »

« C’est un dossier d’autant plus grave qu’il porte atteinte à la dignité humaine. »

Le vice-procureur, Charles Prost, entend démontrer la préméditation dans le rassemblement des trois prévenus qui sont toujours en détention provisoire et qui ont concouru « à cette bonne œuvre de persuasion » par la parole (insultes et menaces) puis les poings, puis les armes (crosse de fusil, batte, tendeurs, sécateur) jusqu’au point culminant : faire participer la victime à sa propre torture en lui faisant tapisser le coffre d’une voiture de morceaux de verre. « On veut le briser, dans tous les sens du terme. (…) Il a été violenté pendant presque deux jours, et privé de sommeil. »

Requiert à l’encontre de Houssem D. la peine de 8 ans de prison et 10 ans de SSJ 

Pour le procureur, tout est caractérisé. Il ne demande qu’une requalification des faits pour Pascal G. en abandonnant les circonstances aggravantes (avec préméditation, avec armes et en réunion). Il requiert à l’encontre de Houssem D. (12 condamnations dont 6 en rapport avec les stups) la peine de 8 ans de prison et 10 ans de SSJ* ; 6 ans pour Alexandre A. (casier : 7 condamnations) et 5 ans de SSJ ; 5 ans de prison contre Mehdi B. (casier : 15 condamnations) et 4 ans de SSJ ; 12 mois de prison contre les deux derniers. 
Les trois prévenus maintenus en détention provisoire ont la trentaine. Les deux derniers, sous contrôle judiciaire, ont 48 ans (3 condamnations mais une de 5 ans, pour des faits de séquestrations en 2010) et 47 ans (3 condamnations au casier), c’est celui dont l’appartement a servi.

Stéphane G. : sous morphine, cocaïne, cannabis… « il n’a fait que dormir »

Maître Leray pour Stéphane G. plaide une relaxe : « Comment cet homme, dans l’état où il est, peut-il avoir conscience d’une séquestration ? » Son état : complètement assommé par la prise, la veille, d’un mélange de plusieurs drogues ainsi que de morphine à titre médical, « il n’a fait que dormir ». De surcroît : « il ne peut pas marcher et on lui aurait confié la garde de la victime ? » Conclusion : il n’était pas en capacité physique ni psychique d’être complice. Demande de relaxe.

« L’instinct de survie » de Mehdi B. : « Il a eu peur »

Maître Lopez parle pour Pascal G. mais comme le parquet vient de demander une requalification qui convient à l’avocat, il s’attache surtout à montrer que les coprévenus ont « maximisé » l’intervention du « Squale » pour se décharger, eux. 
Maître Bernard plaide « l’instinct de survie » de Mehdi B. « Il a eu peur. Il a pris une décision (frapper la victime) en sa faveur. » L’avocate plaide aussi la personnalité de son client, sevré de la cocaïne. « Il a 33 ans aujourd’hui et il a déjà fait 2 ans de détention provisoire. » 
Maître Chavance, frappée par « la violence inouïe et la sauvagerie absolue de ce dossier » intervient pour Alexandre A., « stone » lui aussi, qui « pète un câble parce qu’il voulait sa dose » et qui souffre en détention, « il a été frappé ». L’avocate plaide pour une peine mixte, qui couvre la période de détention provisoire.

S’il manque d’empathie, c’est qu’il est « biologiquement handicapé, comme a dit l’expert »

Le bâtonnier Varlet développe la position de son client, Houssem D. Donc, X raconte volontiers n’importe quoi, certes il y a eu des violences « mais ce sont là les faits les plus graves ». Sur le volet stupéfiants : « Il n’a jamais été pris avec des stupéfiants, mais il a reconnu qu’il en avait. » Quant à l’absence de préméditation : l’avocat se réfère au score d’un test de psychologie pour lequel son client a eu un résultat « inférieur à la moyenne », donc… Et puis s’il manque d’empathie, c’est qu’il est « biologiquement handicapé, comme a dit l’expert ». « La dangerosité de monsieur ne mérite pas cette peine de 8 ans. »

Là-dessus, chaque prévenu dit avoir « enfin pris conscience » de ses actes, et regretter et présenter des excuses à la victime.

En fin d’après-midi, le tribunal condamne :

– Stéphane G. à la peine de 8 mois de prison avec sursis,
– Pascal G., à 12 mois de prison aménagés ab initio en détention à domicile sous surveillance électronique
– Mehdi B. est condamné à la peine de 4 ans de prison avec maintien en détention,
– Alexandre A. est condamné à la peine de 5 ans de prison avec maintien en détention,
– Houssem D. est condamné à la peine de 7 ans de prison avec maintien en détention.

Tous ont comme peines complémentaires, une peine d’inéligibilité et une interdiction de détenir et porter une arme pour des durées qui vont de 5 à 10 ans.
Le tribunal ordonne la confiscation des scellés (dont deux véhicules qui ont servi entre le 26 et le 28 août 2022).

La victime est reconnue en sa qualité de partie civile, le tribunal ordonne une expertise médicale et renvoie sur intérêts civils à la fin de l’année.

« Jusqu’à quel degré de violence on peut aller pour une dette de stups ? »

Le matin un juge assesseur interrogeait un prévenu (placé sous CJ, une seconde main dans ce dossier) :
« Vous en pensez quoi, de tout ce qu’on raconte là ?
– Malheureusement c’est fait. Mais c’est triste, c’est stupide.
– On vous appelle pour mettre la pression… On est sur quelle planète, là ? Jusqu’à quel degré de violence on peut aller pour une dette de stups ? Et quels mots vous mettez dessus ? Il va falloir commencer un processus de réflexion. »

FSA

*SSJ : suivi socio-judiciaire

 

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