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vendredi 1 décembre 2023 à 04:51

Faits divers – Montceau-les-Mines : Enlèvement et tabassage



 

« Ça a duré même pas une heure, c’t’histoire » se défend Eric, 18 ans. « Même pas une heure » d’une virée sauvage en voiture. Ils étaient trois. Lorsqu’ils larguent la victime vers un bois à Gourdon, celle-ci est bleue des pieds à la tête. 30 jours d’ITT.

Ce sont des gosses, une poignée de gosses manifestement enfants d’une misère (de toutes les misères, en réalité) qui ne les a pas aidés, ni à s’humaniser ni à tenir sur leurs jambes. C’est qu’on vous parle d’un monde où une petite fille attaque le cannabis à l’âge de 10 ans, est en couple à 14, subit violences et sévices. Celle-ci a 22 ans aujourd’hui, est en état de récidive légale, et dans l’histoire qui est jugée ce jeudi 30 novembre, elle qui n’a pas le permis de conduire, était donc au volant du véhicule. Elle se tord à la barre, pleure et gémit. « J’ai déjà été battue, madame, j’ai eu des bleus pareils, mais j’ai conduit, oui, j’ai conduit. »

Un véhicule en feu

Le 26 novembre vers 21h30, la police de Montceau intervient au 19 rue de la Résistance où on signale un véhicule qui prend feu. Sur le siège passager avant, les policiers trouvent un courrier au nom d’une femme.  Or le même soir, cette femme est retrouvée à Gourdon, portant des traces de violences. 

Des livreurs de cannabis

Milvia Barbut préside, elle expose les faits pour les juges assesseurs. Éric avait « trois commissions à faire » dit-il à Nathalie (tous les prénoms sont modifiés, ndla) qui lui sert de chauffeur quand il fait des livraisons de cannabis. Elle est rémunérée pour ça. Nathalie emprunte le véhicule d’une amie, prend Éric à son bord, puis ils passent chercher Angèle et Sabine. Angèle prend le volant. Nathalie passe à l’arrière. La violence éclate. 

Elle signale des mauvaises conditions de vie, l’enfant finit par être placé

A l’origine, les jeunes disent qu’ils voulaient avoir « une discussion » car Nathalie avait plusieurs fois signalé la situation de l’enfant de Sabine et d’Éric au 119 (numéro national d’accueil pour signaler un enfant maltraité). Or leur nourrisson (18 mois) fut placé. Et, dans leurs têtes de moineau, la coupable, la responsable, c’était elle, Nathalie. La présidente, le procureur, les avocats, tous, diront à l’envi qu’aucun placement ne se fait ainsi, qu’il y a des enquêtes sociales, et que c’est un juge qui prend la décision. Mais : « Elle a signalé 4 fois anonymement et une fois en son nom. Elle nous a enlevé notre enfant. »

« Bien sûr, elle tremblait »

Alors, le 26 novembre, dans l’habitacle d’une voiture qui roule d’abord de Montceau à Sanvignes-les-Mines, « je ne me suis pas contrôlée, dit Sabine, quand elle a assumé avec un sourire qu’elle a fait les signalements. Elle est maman, elle aussi, comment elle a pu faire ça ? » 
Sabine écrase la victime de son poids au niveau du sternum, lui tire les cheveux à en arracher, la frappe, lui dit « je vais te tuer ». Arrivés à Sanvignes, Éric sort Nathalie de la voiture. C’est faux, dit le garçon :  « C’est quelqu’un qui avait peur de nous, déjà. Y a pas eu besoin de la tirer pour qu’elle descende. Bien sûr, elle tremblait. » Le garçon la tabasse mais une voiture arrive, il la fait remonter et la voiture repart. 

Au bout de 45 minutes, la victime ne tient plus debout

La chevauchée prend fin à Gourdon. La victime sort du véhicule, Éric ramasse une branche, « je lui ai pétée le bâton dans les jambes et je lui ai craché deux mollards, et c’était par rapport au placement de ma fille ». Sabine prend le volant, les trois jeunes s’enfuient. La victime s’effondre puis aperçoit de la lumière dans un restaurant pas loin. Elle va chercher du secours, les pompiers la prennent en charge. 

Cette folie

Le lendemain la police arrête les trois jeunes gens. Dans la pelouse devant l’immeuble où vivent Sabine et Éric, on retrouve la carte vitale de Nathalie. Ils ont à répondre d’enlèvement, de violence aggravée avec ITT supérieure à 8 jours, du vol d’une voiture et de sa destruction (Éric). Angèle doit répondre d’enlèvement, du vol de la voiture, de conduite sans permis et de non-assistance à personne en danger. 

Des bleus au sens propre pour la victime, au sens figuré, pour tout le monde

Nathalie n’est pas à l’audience, « elle a peur » dit maître Andali pour elle. Un médecin a relevé 42 hématomes sur son corps, de toutes les tailles, les plus gros font 6 cm. L’avocate parle de « cauchemar », demande un renvoi sur intérêt civil. 
Cette victime porte, comme ses agresseurs, d’autres bleus. En réalité leurs profils, comme on dit dans le monde judiciaire, sont les mêmes, en termes de vies tabassées.

« Ils disent regretter mais persistent à penser que la victime, somme toute, l’a bien cherché »

Même le procureur en convient, « j’ai quand même de la peine pour eux, ils en ont bavé » mais requiert dur, car « leurs parcours difficiles ne justifieront jamais ce qu’ils ont fait ». Certes Sabine et Éric n’ont pas de casiers, et Sabine est enceinte de 5 mois environ, mais le magistrat leur reproche, outre leur incroyable violence, leurs positionnements à l’audience – « ils disent regretter mais persistent à penser que la victime, somme toute, l’a bien cherché » -. Alexandre Marey demande des peines de 4 ans de prison dont 1 avec sursis probatoire pour les deux qui sont dans le box, Éric et Sabine, avec maintien en détention, et une peine mixte pour Angèle et des révocations partielles de deux sursis antérieurs ce qui porte la partie ferme à 30 mois, « avec mandat de dépôt, du fait de sa situation pénale ».

Plaidoirie pour Angèle

« Elle a connu les sévices. On est dans les ténèbres. Arriver à des situations pareilles, aussi carencées, en France, en 2023, ça dépasse l’entendement » dit maître Julien Marceau. « C’est une faillite collective des services sociaux, de l’éducation nationale, et de la justice, finalement aussi. » L’avocat plaide que la jeune femme, si elle a été complice, ne l’a été qu’à son corps défendant. (D’ailleurs à une question de la présidente, la prévenue évoquait « des pressions », puis usait de son droit au silence : peur de représailles.) « Elle leur a dit ‘Arrêtez ! arrêtez !’, elle mettait des coups de freins à main pour qu’on les remarque. » Elle comparaissait libre. A deux reprises elle a quitté la salle en courant, pour aller vomir.

Plaidoirie pour Sabine

« C’est extrêmement grave, mais je veux expliquer comment une jeune majeure, mère de famille, en arrive à de telles extrémités » plaide maître Sara Bouflija qui retrace la vie de sa jeune cliente : n’a pas connu son père, a vécu avec sa mère, est placée, la mère décède, grossesse avant ses 18 ans, « seule ». « Ce bébé fut une bouée de sauvetage. » Dans ces conditions, « le placement de l’enfant fut très douloureux. On peut légitimement le comprendre, même s’il y avait des carences, oui. Elle n’a pas eu les codes et se retrouve à 19 ans, enceinte alors que son premier enfant est placé. » La jeune Sabine ne perd pas un mot de la plaidoirie, on la voit complètement couchée sur la tablette qui longe le box, la tête dans ses bras, comme une enfant.

Plaidoirie pour Éric 

« La situation a dégénéré à un point auquel il ne s’attendait pas. Éric a dit ‘On aurait dû en parler comme des adultes’ et c’est important car on juge des gamins ! » Maître Thomas Ronfard plaide avec passion, avec révolte : « On fait mine de ne pas savoir qu’il a 18 ans et 3 mois et aucun antécédent judiciaire. Comment on en arrive à un tel passage à l’acte ? Personne ne s’est jamais soucié de ces gamins-là. Personne ne s’est jamais soucié de savoir comment deux gosses de 18 ans s’occupent de leur enfant, seuls. »
Éléments de la vie d’Éric : son père ne l’a pas reconnu, père condamné pour… enlèvement, Éric le rencontre alors qu’il a 14 ans et est déjà livré à lui-même. Scolarisé aléatoirement par sa mère qui le passe dehors : sa vie d’enfant prend fin en même temps que sa scolarité, il a 13 ans ! « Il s’est retrouvé dans les rues de Lyon, à vivre dans des caves et à charbonner. Il a fui Lyon. Il rencontre une fille aussi cabossée que lui, ils ont un enfant. »
L’avocat voit la scène atroce dans cette voiture, ainsi : « Cette pauvre victime a subi les conséquences de tout ce qu’ils ont pu subir toutes leurs vies. »
« Personne, comme toujours dans sa vie, ne s’est intéressé à lui. Ce sont de pauvres gamins qu’on n’a jamais aidés. Cette situation est un aveu d’échec. » Thomas Ronfard plaide pour une solution d’accompagnement.

Après tout ça, Sabine n’a rien à dire. Éric dit, lui, que « cette histoire a pris une ampleur énorme, et franchement je suis désolé. On a fait quelque chose de très grave. On a merdé. Je suis désolé. ». Angèle dit juste : « Je suis désolée pour la victime. »

L’audience a duré 3h30, on n’a pas tout écrit

…entre autres, le niveau d’intoxication de ces jeunes. Leur solitude épouvantable. Éric qui vend du shit et travaille au black dans les jardins, « j’aime faire ça, les jardins, ça me calme ». Angèle victime x fois de violences, jamais indemnisée par les auteurs quand ils sont condamnés, jamais. Sabine au visage poupin qui défend Éric : un bon père, qui ne parle jamais mal aux enfants. Père à 16 ans, qui fumait 20 à 30 joints par jour, qui dit à la présidente : « J’ai personne, je suis tout seul, madame. Pour quelqu’un qui a grandi dehors, je trouve que je m’en sors bien, malgré cette histoire. »
Pendant le délibéré une escorte policière arrive au palais. Angèle a apporté un cabas d’affaires.

Décisions du tribunal
24 mois ferme pour le couple, 20 mois ferme pour la conductrice incarcérée à la barre

Les jeunes gens sont dits coupables de tout ce qu’on leur reproche.
Le tribunal condamne Éric et Sabine chacun à la même peine : 36 mois de prison dont 12 mois sont assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans. Obligations de soins, de travailler, d’indemniser la partie civile, interdiction de contact avec elle ainsi que de paraître à son domicile, interdiction de contact avec Angèle. Éric bénéficiera d’une mesure appelée ISMJ*. Ils sont maintenus en détention pour les 24 mois ferme. Si la grossesse va normalement à son terme, un bébé va naître en prison.
Angèle est condamnée à la peine de 20 mois de prison dont 12 mois sont assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans. Obligations de travailler, de suivre des soins en addictologie. Interdiction de contact avec la victime et de paraître à son domicile, interdiction de contact avec les co-auteurs. Le tribunal décerne mandat de dépôt : les policiers de la BAC qui se tiennent dans le fond de la salle vont l’emmener à la prison pour femmes de Dijon. Le tribunal révoque en outre 2×3 mois des sursis antérieurs, ordonne son incarcération immédiate. Ça fait 14 mois ferme en tout.

« Préparez vos sorties de détention, dit encore la présidente, parce qu’il y aura ‘un après’. »

FSA

https://www.sauvegarde71.org/ismj/

 

 

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