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jeudi 1 juin 2023 à 04:06

Justice : L’application des peines (6)



 

 

Soit un homme coupable du viol avec violences d’une femme très âgée, dans le nord-est de la France. Il est jugé et condamné par une cour d’assises à la peine de 17 ans de réclusion criminelle et à un suivi socio-judiciaire (SSJ) pendant 10 ans. Comment se passe son SSJ ?

Eh bien, ce monsieur démontre au fil des ans qu’il ne veut pas, ou ne parvient pas – ce qui n’est pas la même chose -, à prendre les mesures au sérieux, à s’en saisir comme autant de moyens qui l’aideraient à donner à sa vie une autre forme. « Il n’adhère pas », comme disent les magistrats. Le peut-il ?

Tout suivi socio-judiciaire impose un dispositif lourd. Dans ce cas, et après une phase d’évaluation, il est exigé de cet homme qu’il réponde aux convocations du juge de l’application des peines, du travailleur social et du médecin coordonnateur (dont la mission est de s’assurer que la personne a les suivis et les traitements, cas échéant, qui lui sont nécessaires, qui lui sont adaptés), qu’il prévienne de tout changement d’emploi, de tout changement d’adresse (l’institution judiciaire doit savoir où le trouver, tout le temps), s’il se déplace plus de 15 jours ou à l’étranger, il doit en informer le JAP, et qu’il se soumette à l’injonction de soins ordonné par la cour.

Quelques éléments de personnalité

Cet homme fut placé dès sa petite enfance, n’a pas connu son père, fuguait des foyers dans lesquels on l’assignait, sortit du système scolaire dès ses 16 ans et alors qu’il est en 3ème. Il commet des vols, se drogue, il est condamné plusieurs fois pour cela et est incarcéré dès ses 18 ans. Lorsqu’il entre par effraction au domicile de cette vieille femme, cela fait 4 ans qu’il est SDF et consomme des toxiques (stupéfiants et alcool) à des doses importantes au point qu’un expert psychiatre imputera sa « détérioration mentale » à la drogue.

11 ans en prison, une TS, et des fugues

Entre avril 2000 et décembre 2022, cet homme passe près de 11 ans en prison, ici et là, au gré de ses transferts ou de ses propres déplacements. Un juge des tutelles doit refuser la mesure de protection juridique demandée pour ce multi-condamné hautement problématique, début 2022, parce qu’aucun expert n’a conclu à l’altération des facultés mentales de ce monsieur.
Pourtant l’homme a tenté de se suicider en prison, en 2015, et en garde un handicap moteur, pourtant il continue à fuguer dès qu’il le peut (des hôpitaux, par exemple). Il n’est pas entouré par des proches. Dans les différentes structures où l’on trouve à l’héberger, il ne respecte pas les règlements, il se montre intrusif, emprunte des sous et ne rembourse pas, continue à se droguer, dégrade les lieux où il passe, a des comportements déplacés aux limites de l’agression sexuelle, quand il n’est pas dans l’agression tout court. Avec tout ça, le suivi socio-judiciaire devient une arlésienne : les juges de l’application des peines se succèdent, de juridiction en juridiction. Ils convoquent, ils révoquent, mais les 3 ans de prison associés aux 10 ans de suivi socio-judiciaire, en cas de manquements au cadre des obligations, s’épuisent et bientôt il n’y aura plus rien. Que faire ?

Un cas coincé au carrefour du judiciaire et de la médecine

Cet homme est seul et déraciné. S’il a des liens sociaux, c’est avec l’institution judiciaire ou les revendeurs de drogue, en dehors de ça… Placé et déplacé depuis son plus jeune âge, il fugue de partout, c’est ainsi que sa vie se déroule. Il ne s’arrime nulle part, n’y parvient pas, sauf que les violences de ses passages à l’acte (lors du viol en 2000, il aurait pu tuer la dame), le rendent dangereux pour les autres. Il y eut 4 expertises psychiatriques entre 2000 et 2022. Aucune n’a conclu à l’abolition du discernement, ni même à son altération, on reconnaît seulement « une détérioration mentale » ce qui juridiquement n’a aucune conséquence. L’homme reste donc pénalement responsable alors qu’il est patent, vu la constance de ses comportements, qu’il n’est sans doute plus en capacité de se comporter autrement, du moins pas lorsqu’il est livré à lui-même, et les agressions sexuelles sont à craindre au point qu’il est devenu une patate chaude qu’on se refile parce qu’on n’en veut plus. Il faut bien protéger les autres résidents. Lui, il n’est plus très loin de ses 60 ans.

Révocation par petits morceaux du quantum de prison ferme associé au SSJ

La mesure de SSJ reprend à chaque fois qu’il sort de prison, mais elle est émaillée de nouveaux faits ou d’incidents à la pelle (donne une mauvaise adresse, s’échappe de l’hôpital, agresse une femme dans un lieu d’hébergement ou y installe un point de vente de drogue, etc.). Dans de telles conditions, le JAP finit par n’avoir pas d’autre moyen d’action que de révoquer par petits morceaux les 3 ans de prison associés au SSJ. Il n’en reste presque plus.

Une nouvelle structure

Le dernier JAP en charge de ce suivi socio-judiciaire est plutôt soulagé d’avoir trouvé, grâce à l’aide du SPIP et des partenaires locaux, une structure qui accepte d’accueillir ce condamné. Une structure adaptée : elle permet une intervention médicale mais aussi sociale. Le JAP a désigné un médecin coordonnateur dans cette ville-même, pour garantir les meilleures conditions possibles de prise en charge. Mais tout est lourd : l’homme ne peut pas se déplacer seul pour se rendre dans le bureau du juge, lequel doit décider d’un mode de transport : forces de l’ordre, Croix-Rouge, ambulance ?

Il reste plusieurs années de SSJ à mener, sinon à bien, du moins au mieux.

Florence Saint-Arroman

Tous les cas présentés sont inspirés de cas réels, mais ils sont anonymisés : ce sont des cas appliqués à montrer de façon vivante la diversité des parcours que les JAP et les CPIP rencontrent quotidiennement.

Articles précédents :
(1) https://www.creusot-infos.com/news/bourgogne-franche-comte/bourgogne-franche-comte/l-application-des-peines-1-dans-les-coulisses-des-sursis-probatoires-ou-des-detentions-a-domicile.html  
(2) https://montceau-news.com/faits_divers/740373-justice-lapplication-des-peines-2.html 
(3) https://www.autun-infos.com/news/bourgogne-franche-comte/bourgogne-franche-comte/l-application-des-peines-3-le-pari-reussi-d-un-sursis-probatoire-renforce.html 
(4) https://www.info-chalon.com/articles/2023/05/30/80248/l-application-des-peines-4-le-choc-carceral/
(5) https://www.creusot-infos.com/news/bourgogne-franche-comte/bourgogne-franche-comte/l-application-des-peines-5-un-parcours-jap-complet-mais-une-fin-tragique.html

A suivre : (7/7) Sortie de gang, un long chemin

 

 

Voir l'article : Montceau News




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