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jeudi 9 février 2023 à 11:11

Tribunal de Chalon



Forces et moyens insuffisants, sous la rafale habituelle de réformes : la justice en Saône-et-Loire n’échappe pas aux difficultés qui touchent l’ensemble du territoire national. L’institution judiciaire souffre. Les citoyens, ici appelés justiciables, ne peuvent que pâtir d’un service public mis à mal.

Le tribunal judiciaire de Chalon a connu sa première audience solennelle depuis bien longtemps, vu le tunnel sanitaire imposé par l’Etat. C’était le 18 janvier dernier. Nous n’avons pu y être présent, mais les chefs de juridiction nous ont communiqué leurs propos, voici quelques éléments exposés par Éric Plantier, président du TJ de Chalon-sur-Saône depuis février 2022.

L’activité globale est quasiment à hauteur de ce qu’elle était en 2021*, mais les effectifs sont toujours insuffisants pour répondre sans avoir à faire des choix, ou dans des délais raisonnables. Aussi le président dresse-t-il un tableau critique de la situation. Avant d’en exposer quelques points, petit flashback.

Mai 2018, réforme en force, au nom de la « modernité »

Nous avons en effet gardé un souvenir désagréable du passage, en mai 2018, du ministre de la Justice, à l’époque Nicole Belloubet, venue imposer une réforme dont le projet avait mis, quelques semaines plus tôt, 7 000 avocats, juges, parquetiers, greffiers, sur les pavés parisiens, pour une action nationale « justice morte ». Peimane Ghaleh-Marzban, directeur des services judiciaires qui fait le déplacement avec Nicole Belloubet, nous arrêtait alors dans le hall du palais regrettant que nous n’ayons qu’un seul point de vue – par la force des choses !, la Garde des Sceaux se gardant bien de tout échange, avec les magistrats comme avec la presse, d’ailleurs exclue de la présentation dans la salle de la cour d’assises -. Les informations qu’il nous donnait ne concernaient que le versant logistique : 530 millions d’euros sont investis pour la transformation numérique, « on veut améliorer la situation (la tuyauterie), et les applicatifs, de sorte que la procédure soit numérisée ».

Janvier 2022, audience de rentrée, extraits du discours d’Éric Plantier :

« La réalité de l’activité judiciaire en 2022 : rendre la justice avec des outils inadaptés. Rendre la justice du 21ème siècle avec, encore, les moyens du 20ème. » Le Président du TJ illustre son propos : « Pour mettre en pratique une colossale modification législative votée le 23 mars 2019, entrée en vigueur un an plus tard, sachez que notre applicatif Cassiopée, n’était pas à jour des peines le 23 mars 2020. A partir du 23 mars 2020, le tribunal correctionnel a rendu des décisions dont certaines ne pouvaient être matérialisées dans l’applicatif métier. Sachez que des évolutions n’ont été apportées que de manière perlée, au fil des mois. Et sachez que bientôt trois ans après l’entrée en vigueur de ces dispositions, Cassiopée n’est toujours pas complètement à jour de cette réforme. Mais rassurez-vous, Cassiopée permet parfaitement de fusionner des documents. Via… internet explorer. Oui, internet explorer. Ce logiciel qui n’est plus maintenu depuis le 15 juin 2022. Nous pourrions utiliser Cassiopée avec Mozilla ou Edge. Mais dans ce cas, pas de possibilité de fusionner les documents. »

Sur les dernières annonces du Garde des Sceaux

« Les recrutements massifs annoncés, à hauteur de 10 000 postes, ne concernent en définitive que 1 500 magistrats et autant de greffiers, soit une part minoritaire des recrutements prévus, sauf à ce que le « nombre important d’assistants du magistrat » évoqué sans chiffre concret vienne résolument augmenter les effectifs. Les questions posées par ces recrutements massifs sont nombreuses. Qui voudra venir ? Dans quelles conditions de travail ? Pour quelle rémunération ? Pour quoi faire ? »
Le Président fait également un point sur la situation du greffe et les conditions de travail des greffiers. Il rappelle que renforcer le nombre de magistrats reste inopérant si la situation du greffe n’évolue pas en même temps. « Le magistrat n’est rien sans le greffier. Et 1 500 magistrats mieux payés ne feront rien sans des effectifs de greffe à la hauteur et rémunérés comme ils devraient l’être. » Toutefois, « le plan d’action annoncé par le garde des Sceaux est un premier pas », « un pas important ».

« La République n’a jusqu’à présent que la justice qu’elle se donne »

« …puisqu’elle lui refuse des moyens ne serait-ce que comparables à ceux de la moyenne des pays du conseil de l’Europe. » Le président du TJ en appelle aux parlementaires : « Qu’ils exigent de véritables études d’impact quand on leur demande voter une loi. Qu’ils ne se laissent pas convaincre que la charge de travail supplémentaire n’est pas si importante que ça et qu’il n’est pas besoin d’en évaluer l’impact. Car de quelques dixièmes d’ETPT pour tel nouveau contentieux en d’autres dixièmes pour la participation à telle instance, nous creusons le trou dans lequel seront jetés des dossiers juridictionnels dans l’attente des effectifs nécessaires à leur traitement. »

« Le justiciable, c’est vous, c’est nous »

« Derrière ces dossiers se trouve le justiciable. C’est lui qui attend. Le justiciable, ce n’est pas seulement l’auteur d’une infraction. C’est aussi, et surtout, la victime d’une infraction qui attend que soit fixée la réparation de son préjudice. C’est celui qui attend que l’on statue sur la résidence de ses enfants. C’est celui qui attend que l’on prononce une mesure de protection au bénéfice de son parent dont la lucidité a été grignotée par les années. C’est celui qui attend que l’on statue sur ses droits à prestations sociales ou son recours contre une décision défavorable de la sécurité sociale. C’est celui qui attend que soit ordonnée l’expulsion de son locataire indélicat. C’est celui qui attend que son bailleur indélicat soit condamné à remettre aux normes une habitation devenue indigne. C’est celui qui demande une expertise pour évaluer responsabilités et préjudices après un accident de la circulation ou des malfaçons dans l’étanchéité de sa toiture. »

FSA

Quelques chiffres :
De 2021 à 2022 on note une légère augmentation de l’activité de la chambre civile, du juge du référé. La légère baisse de l’activité de la chambre de la famille est imputable au manque de magistrats pendant trois mois, toutefois le travail acharné d’un jeune magistrat avec la participation de plusieurs de ses collègues a permis d’éviter une catastrophe.
Augmentation des hospitalisations sous contrainte : 856 ordonnances en 2021, 885 en 2022.
Baisse des demandes d’aide juridictionnelle : 3674 demandes reçues en 2021, seulement 2204 en 2022.
Le nombre de jugements correctionnels reste stable : en moyenne 2200, par an. Le recours aux CRPC défèrement s’était intensifié ces dernières années, il s’est stabilisé (à hauteur des moyens, obligatoirement).

 

 

 

 

 

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