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jeudi 31 mars 2022 à 02:55

Assises de Saône-et-Loire



 



La mère de l’accusée, ce témoin si essentiel au procès, ne viendra pas. Elle est hospitalisée. Son fils aîné, 22 ans, sera seul pour répondre de ses actes : avoir tiré et blessé par balle AA, à son domicile. 

Ce mercredi 30 mars, premier jour du procès devant la cour d’assises de Saône-et-Loire, l’accusé répond aux questions de la présidente et lâche avec autant de candeur que de conviction : « Y a pas de papa, chez nous, c’est moi l’homme de la maison. » Pourtant les relations avec sa mère étaient « tendues » – d’ailleurs ils ne se parlaient plus du tout à l’automne 2019-, pourtant celle-ci se plaignait volontiers de ses fils, elle en a trois, qui visiblement font pas mal de « conneries » mais qui pour autant se montrent vifs à défendre les supposés intérêts de leur mère.

Voilà un élément fondateur décisif dans ce qui a conduit l’un d’entre eux, et en réalité certainement deux d’entre eux, en tous cas c’est ce qu’a toujours dit la victime, à jouer les justiciers. Celui qui est dans le box encourt la réclusion criminelle à perpétuité si la cour retient l’état de récidive légale. Ça fait cher payé la confusion des places (les parents, en principe, sont les parents, et les enfants sont les enfants) mais cette confusion se paie toujours, c’est ainsi. D’ailleurs ce tout jeune homme qui revendique être « l’homme de la maison », dit « ma maman » pour désigner sa mère.

« J’ai pensé : je suis mort »

Le 15 décembre 2019 en fin de journée, les enquêteurs découvrent, au domicile de AA, une scène de crime dite « chaude » : c’est le bazar. Du désordre, des débris de verre, une fenêtre cassée, la télé, un ensemble hi-fi, cassés, un étui percuté de calibre 32 est au sol, dans la cuisine, des objets sont jetés à terre. Le récit qu’en fait la victime à la barre est beaucoup plus sobre. Comment rendre avec des mots ce qu’on ressent à se faire tirer dessus, chez soi, alors qu’on s’apprête à recevoir des amis ? 
« J’ai senti quelque chose taper dans ma cuisse, c’est à l’odeur de poudre que j’ai compris. » Il est blessé 4 fois, « j’ai pensé : je suis mort ».  Sa déposition rend bien compte de la stupeur, de la sidération, de prendre des balles sans les sentir vraiment, et d’en avoir l’assurance par l’odeur et puis son sang qui s’écoule. Son avocate lui fait préciser comment il s’est rendu dans la salle de bain. En se traînant au sol. On est sur des courtes distances.

Une victime encore sous l’empire d’un traumatisme 

Il évoque son traumatisme et ses conséquences. Il reprend le boulot, mais, trop de stress, d’angoisses, de vérifications… d’arrêt maladie en arrêt maladie, il démissionne. Il ne dort plus. Il trouve un job de nuit, « quitte à pas dormir… ». « J’ai eu des grosses idées noires », il a fait une tentative de suicide. « Là, ça va mieux, mais… » Mais il est encore sous l’empire d’un traumatisme qui continue à vivre en lui comme s’il avait une vie indépendante, et qui nécessite une prise en charge d’aide et de thérapie, sinon les effractions internes vont encore se creuser et certes trouveront des adaptations mais au détriment de la vie (personnelle, vie courante, vie sociale, tout) de la victime. « Mes parents ne me reconnaissent plus, ils me le disent parfois, mais je ne me rends pas compte. »

« C’est obligé que quelqu’un lui ait montré ma maison »

« Ils étaient deux. » « Vous êtes formel et vous l’avez toujours été », observe la présidente. AA confirme. Il dit avoir reconnu Yanis à son regard, mais que l’autre était sérieusement emmitouflé. Il ne pense pas avoir vu une arme entre les mains du deuxième. 
L’accusé disait ce matin n’avoir jamais connu ce voisin, et avoir trouvé sa maison « tout seul », parce qu’il savait qu’elle voiture était la sienne. AA s’inscrit fermement en faux : « C’est obligé que quelqu’un lui ait montré ma maison. Il n’y a pas de nom sur la boîte aux lettres, et ma voiture n’était pas là. » « Obligé »… l’ombre de la petite famille plane à nouveau sur la salle d’audience. Dans le box, l’accusé est toujours aussi seul. 

La relation mère-fils aîné est gelée, mais le 15 décembre, 70 contacts entre eux !

On l’a écrit (voir article précédent) : la genèse du drame c’est une relation intime entre la victime et la mère de l’accusé qui n’a pas supporté sans acrimonie et colère que son amant mette fin à cette relation. De là est arrivée une scène violente le 23 novembre (la police, appelée par les deux parties, avait conseillé à AA, tapé à la tête avec un marteau, de déposer plainte mais celui-ci, le lundi à 8 heures, travaillait – voilà comment va la vie). Puis l’accusé a été lentement échauffé, même s’il n’était alors pas au courant de la relation intime entre sa mère et le jeune voisin (la mère disait, rapporte AA à la barre, craindre les réactions de ses fils s’ils l’apprenaient, vu que AA n’a qu’un an de plus que son fils aîné). Lentement échauffé : « Tous les jours y avait une nouvelle information. »
D’après Yanis, « à mon avis, elle minimise pour que je m’en mêle pas ». Jusqu’au 15 décembre, car ce jour-là elle appelle son fils : elle a entendu le voisin qui, posé dans sa véranda avec quelqu’un, parlait d’un cambriolage commis chez lui… Elle en fait le prétexte à une nouvelle embrouille. Et puis alors, elle n’a pas appelé son fils aîné une fois. Non, « il y a eu 70 contacts téléphoniques entre eux, le 15 décembre » dit la présidente. A l’issue de ce qui évoque une situation de crise ou de harcèlement, d’instrumentalisation, de manipulation, on ne sait quel nom lui donner… « Je me suis dit, ça va repartir en altercation, et j’ai décidé moi-même de me présenter là-bas » dit l’accusé. 

Un des frères de l’accusé à la barre

En cette fin de journée, l’impression se dégage que « Didier l’embrouille », dans ce dossier, a tous les visages de cette famille, même si c’est « l’homme de la maison », âgé de 20 ans à l’époque, qui doit répondre, seul, des faits. 
K., un des frères de l’accusé, est à la barre. Il a 19 ans et sa stratégie est indigente. A toutes les questions, il se défile : il ne se souvient pas, il ne pense rien, et pourquoi on lui pose cette question, il ne voit pas, non, etc. Un juge assesseur : « Yanis a dit avoir estimé avoir être berné par votre mère qui ne lui a pas dit qu’elle avait eu une relation intime avec AA. S’il l’avait su, il ne s’en serait pas mêlé. » K. n’en pense rien. Depuis les faits, il a tâté du centre éducatif fermé et il a connu l’incarcération. Il confirme tout de même que son grand frère dépannait sa mère quand elle avait besoin d’un joint. 

Le second agresseur, ça pourrait être lui… 

La présidente met un terme à cette heure d’interrogatoire sans fin, elle cause cash et traduit pour K. qui persiste à faire le benêt à la barre qu’en gros, tout le monde pense que Yanis « aurait tout pris sur sa pomme, et vous protégerait car vous auriez été le second agresseur ». Ah le cash, ça remue un peu ! K. tourne la tête, la présidente le reprend immédiatement : « Ne regardez pas l’avocat de votre frère, monsieur ! »

FSA

Note : la présidente a fait une incise dédiée au propriétaire de la maison que louait la victime, et qu’il a voulu quitter au plus vite après avoir cru y mourir. La victime, en arrêt maladie, lui avait écrit, demandant un préavis le plus court possible. Mais le propriétaire a refusé sa demande, et a fait saisir les trois mois de loyers habituels (habituels mais ramenés à un mois si problème de santé)… « Ce propriétaire a été dans l’application de la loi pure et dure, et pas très empathique de la situation qui était la vôtre », conclut la présidente de la cour d’assises. 

 

Assises de Saône-et-Loire

 

 






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