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mardi 12 octobre 2021 à 21:47

Faits divers : Bassin Minier



 



« On ne quitte pas monsieur. » Cette phrase est passée par toutes les bouches, à l’audience de jugement de ce lundi 11 octobre en soirée. Juges, procureur, les avocates des victimes, les victimes elles-mêmes, l’avocat de la défense, tous ont repris : « On ne quitte pas monsieur X. » 

« J’ai pensé qu’il fallait que je me sauve, et tout de suite le harcèlement a commencé »

Monsieur X est un homme aux cheveux poivre et sel âgé d’environ 45 ans. Son ex-épouse est là, sa dernière compagne également. Les deux l’ont quitté, mais, dit la première, mère de ses enfants : « On ferme la porte, il rentre par la fenêtre », « je voudrais pouvoir vivre sans penser à lui tout le temps ». « Je ne suis plus comme avant », dit sa dernière compagne en éclatant en sanglots. « Mes parents, mes amis, disaient que j’étais sous emprise mais je ne m’en rendais pas compte. Sur la fin de la relation, j’avais perdu beaucoup de poids et de l’eczéma sur tout le corps. J’ai pensé qu’il fallait que je me sauve, et tout de suite le harcèlement a commencé. » Assistée de son avocate, la femme a saisi un juge aux affaires familiales et, le 20 avril dernier, obtient une ordonnance de protection (1). La présidente Caporali explique qu’il n’est nul besoin d’avoir des enfants, pour saisir un JAF pour ce type de difficulté avec un conjoint ou ex-conjoint. C’est bon à savoir.

Harcèlement, insultes, rabaissement, panoplie complète

Tout cela durait depuis un moment, mais la scène du 4 avril dernier va embarquer tout le monde dans une procédure judiciaire. Le prévenu s’était incrusté chez son ex, la traitant de « pute » devant ses amis. Puis il s’est déchaîné par SMS envoyés à un de ses amis, mais « la teneur des messages » … « C’est juste une pute/Maintenant je vais la détruire/C’est juste une sale pute/Moi je suis juste un prédateur/Je vais tous les égorger/etc. » C’est sa façon de faire : en rafale. Tentatives d’appels, des mails (« Je t’appelle x fois par semaine, pourquoi tu ne réponds pas ? », et la rancœur : « Je comprends pas que tu aies mis notre histoire à la poubelle. ») Il lui pourrit la vie, tant et si bien qu’il doit répondre de menaces de mort, de messages malveillants, et de harcèlement. Les messages malveillants concernent également la mère de ses enfants. Et « le sentiment d’insécurité qu’ils génèrent », comme le dira maître Chavance pour l’ex-épouse, atteint également les enfants (ceux de l’ex comme ceux de l’ex-épouse).

Enjeu : est-il harcelant, ordurier et parfois pervers parce qu’il souffre de bipolarité ?

Silhouette longiligne, chemise blanche sur un jean, le prévenu fait beaucoup de petits gestes signifiant son impuissance : « La maladie fait qu’on ne sait pas que ce qu’on dit, c’est pas bien. » Voilà l’enjeu, voilà ce qui va occuper l’enceinte du prétoire jusqu’à plus de 23 heures : est-il harcelant, ordurier et parfois pervers parce qu’il souffre d’une psychose maniaco-dépressive (2) ? Oui répond la défense. Ou l’est-il en sus de sa maladie ? C’est plutôt ça, disent les victimes. C’est un enjeu délicat car cet homme est malade, et cet homme en souffre, c’est indéniable. « Cette maladie lui pourrit la vie », plaidera maître Petit.
La présidente : « Avez-vous conscience de ce que vous avez fait vivre à madame ? » Le prévenu : « Après que mes traitements ont été réajustés, je me suis rendu compte que ce que je faisais était mal pour elle. » Vu son niveau d’étude et de formation intellectuelle (une agrégation), voilà un niveau de langage (« mal pour elle », « pas bien ») qui surprend. Pourquoi parle-t-il comme un enfant pris avec les doigts dans le pot de confiture ? Pourquoi est-ce « mal pour elle » quand c’est destructeur en soi pour n’importe qui ?

Il y a la maladie, et puis il y a la personnalité

Pour autant, un juge assesseur pose au prévenu une question importante : « Quelque chose chez vous relève de la fixation, et ce, au-delà de la bipolarité. La teneur de certains messages est outrageante et choquante. Il n’y a que de la bipolarité chez vous ? Ou il y a autre chose ? » Réponse de monsieur x : « Les troubles bipolaires peuvent donner des comportements très insistants, en amour. » Le juge : « Oui, mais la teneur de certains propos interroge. » On s’interroge avec lui : il y a la maladie, et puis il y a la personnalité. Le caractère malsain de certains messages et mails a beau sembler délirant, il n’est pas certain du tout que cela soit imputable à cette maladie dont souffrent pas mal de concitoyens, lesquels connaissent des désordres dans leurs humeurs et leur comportement, particulièrement en phase maniaque, mais qui n’en deviennent ni orduriers ni agressifs ni violents, systématiquement. Alors quoi ?

Une expertise psychiatrique « légère », « pitoyable » 

Il y a une expertise psychiatrique au dossier. On devrait y trouver des éléments mais la présidente la qualifie de « légère », la défense la qualifie de « pitoyable » : « Une demie-page !  Le rapport est évanescent. (…) Une expertise faite à la va vite pendant une garde à vue. Une honte. »  Cela donne du grain à moudre à maître Franck Petit (barreau de Dijon). L’avocat plaide l’irresponsabilité pénale, là où le psychiatre conclut à une altération du discernement. Il souligne un fait d’évidence, mais trop facilement admis justement comme évidence : personne au tribunal n’est compétent en matière de maladie psychiatrique (et pourtant les prévenus qui présentent des troubles ne manquent pas, comment faire la part des choses ?, ndla). Partant de là, « je suis allé consulter le Vidal ». Et voilà une procédure de plus, dans laquelle on ne peut pas s’appuyer sur le rapport d’expertise, trop indigent pour aider en quoi que ce soit.

« Il est diagnostiqué en 2019, mais le traitement n’est pas adapté »

Le lendemain des faits du 4 avril, monsieur X est hospitalisé. Son père l’aurait emmené et ça serait donc une hospitalisation à la demande d’un tiers (et non une hospitalisation opportune, si on peut dire ainsi), « mais ça n’apparaît pas au dossier parce que l’hôpital ne répond pas, l’hôpital a fait n’importe quoi, n’a pas rempli le dossier correctement et ça devient une hospitalisation consentie ». Partant des carences des uns et des autres au cours du temps, l’avocat en fait un fer de lance pour décrire une phase de crise telle que son client « ne savait plus ce qu’il faisait ». « Il est diagnostiqué en 2019, mais le traitement n’est pas adapté. » Alors le prévenu interrompra son traitement. « En phase maniaque le bipolaire se sent tout puissant, ces deux femmes sont devenues ses choses à un point délirant. »

La question de fond reste celle posée par l’assesseur

Le mot « délire » va dans le sens de l’irresponsabilité pénale. L’expert psychiatre, lui, a écrit : « Il sait ce qui se passe quand on interrompt son traitement. » La question de fond reste celle posée par l’assesseur : le prévenu peut-il légitimement tout imputer à cette maladie ? Maître Chavance et maître Girardot ne le pensent pas. Maître Girardot en veut pour preuve le fait que monsieur X a su « arrêter du jour au lendemain » son harcèlement et ses insultes dégradantes dès l’instant où un juge a délivré une ordonnance de protection. « Il est intelligent, il sait parler. » L’avocate insiste sur « le caractère obscène de ses messages », « et il en envoie toujours à partir du CHS de Sevrey. » (en avril dernier, l’ordonnance de protection intervient le 20 avril) « Contrairement à ce qu’il soutient, il est bien conscient de ce qu’il fait », reprend maître Chavance. Il distille insécurité et culpabilisation, et ces femmes finissent par vivre sur le qui-vive constamment.

2 ans sous main de justice, injonction de soins et interdictions de contact

En résumé : la défense plaide l’irresponsabilité pénale ; « la maladie a bon dos » répondent les parties civiles. Le tribunal fait la balance : retient l’altération du discernement et déclare le prévenu coupable de tout ce qu’on lui reproche. Il condamne ce professeur agrégé au casier vierge, à une peine de 10 mois de prison intégralement assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans. Injonction de soins, interdiction de contact ainsi que de paraître aux domiciles des deux victimes. L’interdiction de contact avec la mère de ses enfants connaîtra une exception pour ce qui concerne directement les enfants. Obligation d’indemniser les victimes, il est reconnu entièrement responsable des préjudices causés.

Florence Saint-Arroman

 

(1) Sur l’ordonnance de protection : https://www.justice.fr/themes/ordonnance-protection
On peut lire avec intérêt, ce que dit le Code Civil : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070721/LEGISCTA000006089697/#LEGISCTA000006089697

(2) La bipolarité s’appelait, avant, « psychose maniaco-dépressive » (PMD).
« Troubles bipolaires : troubles de l’humeur qui alternent deux pôles : phase maniaque (excitation pathologique – hyperactivité – avec parfois désinhibition et achats compulsifs) et phase dépressive
(ralentissement – mélancolie). Entre ces phases, l’humeur et la vie sociale sont normales. Le risque de suicide est particulièrement élevé : 40 % de tentatives de suicide – 10 % de décès. » (source : https://ajirpsy.org/wp-content/uploads/2018/03/mediaspsychiatrie-ajirpsy-ODI-web.pdf)

 






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