Du côté de la librairie…
Envie de lire... les traces de l'histoire
Envie de lire… les traces de l’histoire
A quelques jours de l’Armistice de 1918, petit retour en arrière, mais uniquement jusqu’aux années qui ont précédées et suivies la Seconde Guerre Mondiale. Quatre ouvrages décortiqués sur ce thème malheureusement toujours d’actualité.
Si vous continuez à suivre cette chronique hebdomadaire, vous ne tarderez pas à découvrir que je suis particulièrement attirée par tout ce qui concerne la Seconde guerre mondiale. C’est la première fois que je vous propose une sélection d’ouvrages sur le sujet, mais cela risque de ne pas être la dernière !
Deux documents bouleversants viennent de paraître au Cherche-Midi et chez Albin Michel. Le premier retrace l’histoire des 230 femmes enfermées dans des camps d’internement français et qui ont été conduites par la Gestapo à la gare de Compiègne en janvier 1943. Leur destination : Auschwitz-Birkenau. La plus jeune avait 15 ans, et la plus âgée 68. Elles étaient souvent résistantes. Mais c’étaient avant tout des femmes. Ordinaires. L’auteure retrace ici leur arrestation, leur torture par la police française ou la Gestapo, leur voyage dans le train de la mort, leur vie dans le camp jusqu’à la libération par l’Armée rouge en janvier 1945.
Seules 49 en reviendront vivantes.
Pour ceux qui s’intéressent à cette période de l’histoire, le convoi décrit dans ce document est celui de Charlotte Delbo, célèbre écrivaine revenue des quais a qui a rédigé un premier ouvrage sur le sujet intitulé « Le convoi du 24 janvier ». Au contraire de celui-ci qui dressait la liste de toutes les femmes déportées et leurs parcours personnels, le travail rédigé par Caroline Morrehaed est davantage axé sur une vision globale de cet événement, replaçant chaque femme dans ce convoi, mais également dans l’Histoire. Elles ne sont plus unes, elles sont ensemble dans ce bourbier infâme. Ensemble dans la mort et dans la vie.
Le second document revient sur une période moins bien connue de la Seconde guerre mondiale, à savoir la période de 1945-1952 et le retour des « déplacés » de l’après-guerre. Lorsque l’Allemagne capitule en mai 1945, les Alliés se trouvent en effet confrontés à un défi gigantesque : soigner, nourrir, regrouper et rapatrier les victimes du régime nazi, piégées dans l’effondrement du IIIe Reich. 15 millions de travailleurs originaires de toute l’Europe, prisonniers de guerre, déportés, survivants des camps sont alors présents sur le territoire allemand, auxquels vont s’ajouter 5 millions de réfugiés de l’Est, chassés des pays libérés ou fuyant l’avance de l’armée soviétique. Ensemble, ils constituent les « Displaced Persons ». Si la plupart d’entre eux ont pu retrouver leurs foyers avant la fin de l’année 1945, 1,5 million d’entre eux étaient « non rapatriables » : Juifs rescapés de la Shoah, Polonais, Ukrainiens, Lituaniens, Estoniens, notamment, pour qui le retour dans leur pays d’origine était désormais impossible.
Il fallut aux Alliés plus de 7 ans pour solder cet héritage empoisonné de la guerre. La communauté internationale, en dépit des remous liés à la guerre froide et à la création de l’État d’Israël, réussit alors à poser les bases d’une organisation moderne de l’aide humanitaire.
Très dense et particulièrement documenté, l’ouvrage retrace tout le déroulé des opérations qui ont été menées pour rapatrier toutes ces personnes. Il propose d’ailleurs de nombreux exemples individuels afin de mieux prendre la teneur d’un phénomène que personne n’avait vraiment anticipé. Ainsi, on découvrira que les institutions destinées à aider l’Europe à se rétablir furent créées en 1942 et 1943, alors que personne n’avait pris conscience de ce qui était en train d’arriver aux Juifs d’Europe. Seul le « déplacement de personnes » était pris en compte, pas le génocide.
Un document foisonnant, dru, mais extrêmement éclairant pour la suite de l’Histoire.
Caroline Moorehead. Un train en hiver – Le train des femmes pour Auschwitz. Paris : Cherche-Midi, 08/2014. 440 p. 19,50 € / Le long retour 1945-1952 – L’histoire tragique des « déplacés » de l’après-guerre. Ben Shephard. Paris : Albin Michel, 590 p. 28 €
Mon troisième choix pourrait presque être lui aussi un document. « L’embuscade » revient sur un événement très précis de la guerre civile qui opposa, pendant l’été 1944, partisans et fascistes italiens. Ce roman, posthume et inachevé, retrace les combats pour reprendre la ville de Valla aux mains de l’occupant. Alternant descriptions des personnages et flash-back, il nous permet de découvrir des hommes de provenances diverses, animés du désir de résister, mais pour des raisons différentes. A leur tête, Milton, poussé par un fort désir de vengeance, mène ses hommes dans un combat à mort. Au fil des pages, l’intrigue amoureuse de la jeune institutrice de San Quirico avec un officier fasciste, loin d’être romanesque, constitue le centre même de ce drame. A lire pour l’écriture de cet auteur, riche et percutante, et pour une histoire qui pourrait être une tragédie grecque.
Beppe Fenoglio. L’embuscade. Paris : Gallimard, 2014. Coll. L’imaginaire. 230 p. 7,90 €
Enfin, bien que semblant un peu en marge, ma dernière sélection a toute son importance dans cette chronique. En effet, les Presses de la Cité rééditent un chef-d’œuvre oublié de la littérature allemande de l’entre-deux guerre. « Entre frères de sang » nous plonge dans les bas-fonds de Berlin, en 1930, période de dépression économique et sociale, principalement due à la défaite de 1918.Des milliers de jeunes se retrouvent alors sans travail, sans famille, livrés à eux-mêmes et à l’Assistance dans les rues de la capitale. Nous suivons dans ces pages la violence, la maladie, la faim, le froid que chacun d’eux subi. Pour être plus forts, pour pouvoir survivre, ils se regroupent au sein de bandes, organisant coups de main, larcins et autres infractions qu’ils payent souvent très chers. Aux côtés de Jonny et sa bande, de Ludwig et Willi qui ont fui les hospices de l’Assistance et vendent leurs corps contre quelques marks, on découvre cette lutte contre la déchéance et la misère.
Très âpre, ce livre présente un intérêt historique tout particulier, car son auteur, Ernst Haffner a remporté un immense succès en 1932 lors de sa parution. Il était alors travailleur social et journaliste dans Berlin. Mais les autorités de l’époque ont vite estimé que ce livre était dangereux, probablement parce qu’il étalait sur le papier la réalité économique et sociale de l’Allemagne, alors que l’Etat tentait d’en donner une toute autre image. Les nazis ont donc condamné l’ouvrage et l’ont brûlé publiquement lors des autodafés de livres. Emprunt de réalisme, « Entre frères de sang » était probablement trop visionnaire, donc dangereux…
Entre frères de sang. Ernst Haffner. Paris : Presses de la Cité, 08/2014. 270 p. 20 €
Véronique Décrenisse-Kieny