Justice
Le droit civil est le droit de tous les jours, c’est le droit de la famille, le droit du travail, des contrats. Il s’intéresse à votre litige avec votre banque, votre bailleur, votre assurance, tout. Un projet de décret, le décret RIVAGE, peut mettre fin à votre droit de faire appel d’une décision.
« RIVAGE » – un bien joli nom pour un décret si agressif -, l’acronyme de « rationalisation des instances des voies d’appels pour en garantir l’efficience ». Nul besoin d’avoir fait de longues études pour comprendre l’endroit où la langue marketing est perverse : « garantir l’efficience » consiste à supprimer la possibilité de faire appel des jugements portant sur des litiges dont l’enjeu financier est inférieur à 10 000 euros.
Et ce, « en matière civile, commerciale et prud’homale » nous explique le bâtonnier, Benoît Diry.
Consommation, logement, travail, pensions alimentaires, etc.
Un exemple : un magasinier réclame 8 000 euros de salaires impayés, pour diverses raisons, le CPH rejette sa demande. Sans possibilité d’appel, l’employé perd tout (avec les conséquences que ça entraîne).
Autre exemple, auquel les avocats qui font du droit de la famille sont sensibles : il arrive que les décisions rendues en première instance comportent des erreurs, ce qui est compréhensible car certaines situations sont difficiles à évaluer rapidement. Avec le décret RIVAGE, susceptible d’être appliqué dès juin 2026, plus d’appel possible sur la question des pensions alimentaires.
Ce décret donnerait également à un président de chambre le pouvoir de décider, seul, sans débat, sans contradictoire, de déclarer d’office un appel irrecevable. Il lui suffira de rendre une ordonnance, et c’est plié.
Ce décret restreint « de manière inacceptable » l’accès à ce recours qu’est l’appel
Bref, ce décret restreint « de manière inacceptable » l’accès à ce recours qu’est l’appel. Il marque, selon le barreau chalonnais, « un désintérêt profond pour la justice du quotidien ». Enfin, il porte atteinte à un principe que les juristes appellent « le double degré de juridiction ». Première instance, première décision ; deuxième instance : l’appel.
« (…) cette restriction majeure du droit d’appel, privant de nombreux justiciables d’un recours effectif, notamment pour les litiges du quotidien (consommation, logement, travail, pensions alimentaires etc.). Ces mesures toucheraient particulièrement les justiciables les plus modestes, qui seraient privés d’accès à la cour d’appel pour des montants significatifs à leur échelle » écrit le CNB, le conseil national des barreaux.
Les mots sont importants, toujours : « efficience » ne veut pas dire « efficacité »
Le mot « efficience » n’est pas synonyme d’« efficacité », la différence entre ces deux mots, c’est qu’efficience vise la question du rendement.
Une fois encore c’est ce serpent de mer des moyens humains et matériels qui pointe sa tête hors de l’eau et qui sert de prétexte à une « gestion », « à moyens constants » pour favoriser de bonnes « statistiques », au détriment de qui ? A notre détriment. A ce jeu-là, personne ne sortira vainqueur. Les magistrats et les avocats, comme les justiciables, n’ont aucun goût à se déplacer sur des tas de cailloux.
« On limite ce droit à débattre et à discuter »
Le bâtonnier Diry ajoute une réflexion sur l’expression commune : « C’est sans appel ». Ça veut dire : pas de discussion possible. « On limite ce droit à débattre et à discuter. »
A l’époque où les espaces de parole sont constamment attaqués, et au sein d’une institution qui sur son versant pénal ne cesse d’engager les gens à aller « parler » (dans l’espoir qu’ils aillent mieux et ne répètent plus les infractions qui les conduisent au tribunal), ce décret ne manque pas de venin, on y retrouve les maux et les mots de l’époque.
« Rationalisation des instances des voies d’appels pour en garantir l’efficience » est habillé d’un bel habit tout doux, tout mignon et devient « rivage », un mot confortable.
On le répète : les mots d’une société n’ont rien d’indifférent, ils encadrent et déterminent nos façons de vivre.
Photo prise dans la belle salle de la coupole du tribunal judiciaire de Chalon-sur-Saône, ce 4 décembre 2025.
FSA



