Justice
On entend de tout sur l’institution judiciaire, parce que, comme les corps des forces de l’ordre, elle est très fantasmée et reste un écran électif de projections. C’est que le mot « justice », n’est-ce pas, est, comme le mot « liberté » disait Paul Valéry, « un mot qui chante plus qu’il ne parle ».
Nous vous proposons de (re)lire cette petite série sur l’application des peines. Toutes les peines relevant d’un « suivi JAP » sont ouvertes à l’évolution. Les juges de l’application des peines sont comme des joueurs d’accordéon dont la partition est en bonne partie écrite par les personnes condamnées : selon les cas, le juge peut ouvrir, resserrer, voire compresser et (en)fermer.
Il y a (déjà) deux ans, Eric Plantier, président du TJ de Chalon-sur-Saône, répondait favorablement à notre demande : rencontrer les juges de l’application des peines, les JAP, pour parler plus spécifiquement de leur travail. Les trois JAP du service de l’application des peines ont à leur tour collaboré à l’élaboration de cette série. Des cas réels mais anonymisés, dont les parcours sont restitués dans leurs dynamiques. Des pentes ascendantes, des pentes descendantes : une tragédie, des incarcérations, des sorties par le haut. Tout existe. Un des intérêts de cette série est de montrer que l’expression « être sous main de justice » a un sens fort et un sens tout court : celui de la peine.
Six petites histoires viennent vous raconter un peu comment ça se passe, aujourd’hui.
L’application des peines (1) :
Dans les coulisses des sursis probatoires ou des détentions à domicile
Le travail des juges de l’application des peines, les « JAP », est mal connu : que se passe-t-il après une condamnation, quand on a une peine de sursis probatoire, de suivi socio-judiciaire ou un aménagement de peine ferme en détention à domicile sous surveillance électronique ?
Le post-sentenciel fait partie de la peine
Le juge de l’application des peines s’assure que les peines prononcées par le tribunal correctionnel ou par une cour d’assises, sont correctement exécutées. Il travaille avec la collaboration étroite et indispensable du service pénitentiaire d’insertion et de probation, le SPIP.
Au Tribunal Judiciaire de Chalon-sur-Saône, ils sont trois JAP avec trois greffiers pour mener à bien des suivis post-sentenciels. Mesdames Milvia Barbut et Leticia Blanchet, monsieur Benjamin Marty, ont accepté de nous recevoir plusieurs fois pour expliquer leur travail. Nous les en remercions vivement.
Quelques chiffres (actualisés en juillet 2025, sans écart notable avec ceux de 2023)
Au 1er juillet 2025, le service de l’application des peines du ressort du TJ de Chalon compte environ 1 950 mesures en milieu ouvert, dont :
– 1 203 sursis probatoires (SP) en cours
– 98 sursis probatoires renforcés
– 86 suivis socio-judiciaires (SSJ)
– 188 détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE) – c’est une mesure « sous écrou », le porteur du bracelet purge ainsi une peine de prison ferme. S’il ôte le bracelet, c’est une évasion.
– 96 TIG (travail d’intérêt général)
Le ressort du tribunal de Chalon couvre en gros les deux-tiers du département (le reste dépend du TJ de Mâcon), autant dire que les JAP et les greffiers du service de l’application des peines ne sont pas en sureffectif : il faut bien ça. Très vite ils ajoutent que sans les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP), « on n’est rien ».
« Contrat de confiance »
« En France, on a l’idée que la peine de prison est la peine principale, alors que ce n’est plus le cas, explique Benjamin Marty. D’ailleurs quand on juge et qu’on condamne à une peine d’incarcération, on doit motiver cette décision en montrant en quoi les autres peines sont inadaptées. »
Les autres peines : les jours-amende, les amendes, le sursis simple, les stages (citoyenneté, sécurité routière, violence) prononcés à titre de peine complémentaire. Pour celles-ci, le JAP n’intervient pas, ou peu. En revanche : la prison, le SP, le SSJ, « plus long, aux conséquences importantes en cas de non-respect du cadre » occupent les JAP à bien des niveaux. Quand le « contrat de confiance » n’est pas respecté, ces juges peuvent révoquer des mois de sursis, nous le verrons dès le premier article.
Le sens de la peine
« Les condamnés accordent à la peine le sens qu’ils veulent bien lui accorder » : tout JAP travaille sur ce point, relayé par les CPIP toujours à l’affut de nouveaux outils pour leurs entretiens. Parmi les 25 obligations possibles, les plus courantes sont : l’obligation de se former et/ou de travailler, et l’obligation de soins. Or nul n’ira travailler ou suivre des soins (psychologiques et/ou en addictologie) s’il n’en ressent pas le besoin, la nécessité. « On essaie de susciter l’adhésion. » En cours d’exécution, le JAP peut adapter le cadre selon ce qu’il estime nécessaire (le renforcer, le modifier, ou prendre des mesures de sûreté).
Plusieurs articles vont tâcher d’illustrer de manière concrète les différents visages de ces suivis post-sentenciels, pour (tenter de) rendre visible et audible le poids de ces peines qui sanctionnent tout en visant une réinsertion et une sortie de la délinquance, dans l’intérêt de la société (et pas seulement de la personne condamnée, comme les esprits rageux aiment le croire).
Florence Saint-Arroman
*JAP : juge de l’application des peines
SP : sursis probatoire
SSJ : suivi socio judiciaire
DDSE : détention à domicile sous surveillance électronique
BAR : bracelet anti-rapprochement
TIG : travail d’intérêt général
SPIP : service pénitentiaire d’insertion et de probation
CPIP : conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation