La Claudine aime les week-ends, mais parfois le lundi est le bienvenu.
La Claudine a passé la semaine entre les deux tours de la législative partielle de la 5ᵉ circo de Saône-et-Loire à râler contre la cohorte de ceux qui n’apparaissent qu’au moment des scrutins pour délivrer la bonne parole et inciter tout le monde à voter pour leur candidat (bien entendu le meilleur, le Messie tellement attendu). Ces gens qui vaticinent sans cesse contre tous les vices de la société, contre les chômeurs qui se tournent les pouces, les retraités trop riches et égoïstes, les enseignants qui n’enseignent plus rien, les politiques des autres bords, les porteurs de fakenews qui ne disent pas la vérité « vraie », celle de leur camp. Etc. Etc.
À force de fulminer, la Claudine a décidé de passer son week-end, hors passage par l’isoloir, à inventer des mots décrivant son état d’esprit vis-à-vis de tous ces gens-là. Rassemblant ses connaissances scolaires de latin et de grec, elle a exorcisé son mal-être en la matière par la formation de néologismes en se disant qu’un jour les sages les mettront peut-être dans leur dictionnaire.
Il y a d’abord misothéopraxiste (du grec), de misos la haine, de theo le dieu ou, dans un sens plus large, vérité sacrée, idéologie, et praxis l’action, la mise en œuvre. Ce mot peut signifier : celui ou celle qui hait ceux qui prêchent une vérité mais ne la pratiquent pas. Dans ce cas, la cible seraient les prêcheurs moralisants incohérents, le fâcheux, les affidés.
Ensuite on peut créer : hypocratophobe (grec/néologisme), de hypokrisis le jeu, la simulation, l’hypocrisie, de kratos le pouvoir et phobos la peur, le rejet. Ce mot peut exprimer le rejet du pouvoir exercé par des hypocrites. Il pourrait viser tous ceux qui usent du pouvoir (politique, moral, religieux) de manière insincère ou opportuniste.
En allant plus loin, nous arrivons à dogmapostate (latin/grec) de dogma l’opinion arrêtée et doctrine que l’on respecte absolument et apostate (mot très à la vogue dans certains milieux fanatiques), qui se détourne d’une foi ou d’un engagement. Ce vocable exprimerait le geste en conscience de celui ou celle qui se détourne volontairement de tous les dogmes, surtout de ceux imposés sans cohérence. Et ce dans un but simple mais primordial de rejeter tous les dogmatiques moralisateurs. Et l’on ne peut nier qu’ils soient nombreux, antinomiques et socialement prégnants.
Souvent, pour aider la pénétration des dogmes, des vérités révélées, des contraintes spirituelles dirrimantes, il y a aussi : prosélytophage (grec), de proselytos convertir, le converti, phagein manger, dévorer. La signification littérale serait « Qui “dévore” ou rejette les prosélytes intempestifs ». C’est un peu radical, non ?! Envers ceux qui veulent convertir à tout prix, surtout avant les élections.
Son frère ou sa sœur en néologisme : misévangéliste (grec/latin hybride), de misos la haine et evangelion au sens chrétien. Cela signifie la bonne nouvelle ou la vérité révélée. Le ou la misévangéliste serait une personne qui rejette les porteurs de vérité révélée, surtout quand elle est imposée, les prosélytes, les évangélistes qui veulent sauver le peuple malgré lui… mais uniquement à certaines dates du calendrier électoral.
Alors, mieux, l’anti-je-suis-le-plus-beau, le-meilleur, le-sauveur-incontesté : catharthrope (grec inventé), faut bien s’amuser. De katharos pur et anthropos homme (l’homme pur par contraste avec l’homme impur ou le sous-homme). La Claudine a beaucoup ri en trouvant celui-ci destiné à ceux et celles qui, comme elle, ne supportent pas ceux qui se prennent pour des êtres purs ou supérieurs (moralement/politiquement), et tous les puristes de tout poil, les « importants » qui souffrent du syndrome d’hubris, qui excluent tout désaccord avec eux, leurs idées et ceux qui les portent.
Et en soirée, après un bon carré de chocolat, La Claudine s’est offert un petit dernier : anti-syssitiaire. Dans sa jeunesse, elle a appris la fameuse histoire du jeune garçon spartiate qui avait volé un renard, qui l’avait dissimulé sous sa toge et qui a préféré se faire dévorer le ventre par l’animal plutôt que de subir la punition et que sa faute soit reconnue. Donc elle s’est dit qu’un mot partant de l’histoire si particulière de Sparte pouvait trouver sa place ici. Ce mot inventé viendrait de syssitia, les banquets politiques spartiates, où seuls les citoyens bien pensants avaient leur place — par opposition à tous ceux qu’on marginalise hors des grandes messes militantes. Mais c’est juste pour le fun.
Ah, la délivrance, ah, le plaisir, La Claudine a conjuré le mauvais œil médiatique, expulsé les Pythies de tous bords. Des heures de détente avec fous rires intégrés, amusements intellectuels en balade. De vrais bonbons à sucer pour chasser l’amertume d’une vie où ceux qui sont sensés représenter le peuple ne représentent plus qu’eux-mêmes et ne s’occupent plus des vrais problèmes du quotidien ou de la marche du pays. L’horizon s’appelle 2027, c’est la nouvelle ligne bleue des Vosges.
Gilles Desnoix