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mardi 13 mai 2025 à 05:51

Tribunal de Chalon



 

 

Le jour décline. Il est 21 heures, ce lundi 12 mai, quand une escorte pénitentiaire introduit dans le box un homme âgé de 37 ans, visiblement tendu. On lui reproche d’avoir frappé ses deux très jeunes enfants, à coup de poing. 
Est-ce qu’il reconnaît cela ? lui demande la présidente. La réponse fuse : « Ah non, pas du tout. Je ne frappe pas mes enfants. »

Une jeune femme, choquée par ce qu’elle entend sur un parking

Les faits auraient eu lieu à Blanzy, sur le parking d’un bar-tabac qui ferme à minuit le samedi. Une jeune femme fait le 17, vers 23 heures : elle a entendu des enfants crier et pleurer dans un véhicule et elle a vu un poing fermé, et entendu un homme dire « Ferme ta g…, tais-toi ! ». Elle décrit le véhicule, en donne l’immatriculation, la police part à sa recherche. 
Le prévenu souffle encore, pendant que la présidente expose ce qu’il y a au dossier.
Les policiers trouvent la Laguna garée vers l’immeuble où sa propriétaire est locataire : la mère des enfants. Ils se présentent au domicile, il est minuit, les enfants (5 ans et 3 ans) dormaient. On procède « à une mise en sécurité des mineurs », enlevés immédiatement à leurs parents et confiés à l’aide sociale à l’enfance.
Au domicile, avec les enfants (« Et voilà, ils dormaient ! » souligne le prévenu), un homme (jeune ou pas, on ne sait pas) hébergé par madame, il est sans domicile. L’homme dit aux policiers que la mère est « ivre » et « injoignable ». Les enfants sont « paniqués ».

« J’ai jamais tapé les enfants »

Leur père, à l’audience, ne l’est pas moins. La présidente rend compte de façon détaillée de tout ce qui a pu être dit par les personnes entendues. C’est que le dossier n’est pas terrible et que le prévenu conteste fermement. « On tape pas les enfants, chez nous. J’ai jamais tapé les enfants. » Sur la mère « ivre » : « N’importe quoi ! Elle ne boit pas. Mais quel choc pour elle quand elle a appris que la police avait pris les enfants ! »

La présidente ne laisse rien passer, pose des questions dans tous les sens pour voir un peu comment le prévenu réagit, ce qu’il répond à chaud, mais il n’en démord pas : « Chez nous, madame, on peut s’amuser et ça crie, mais ça crie pas de douleur. Madame, mon petit, il est né prématuré, il a eu assez de souffrances comme ça. » Puis : « Madame, écoutez. J’aurais tapé sur mes enfants, ils auraient des marques ! Si on tape un enfant au visage, on peut le tuer. Il faut être malade pour faire ça. »

« Mais madame, vos enfants à vous, et les nôtres, c’est différent »

Un médecin a relevé dermabrasions et bleus sur chaque enfant, et leur a attribué 2 jours et 3 jours d’ITT. « Ils se battent tout le temps et puis on était allés au muguet, ils tombent, ils jouent. »
La présidente lui fait remarquer que tous les enfants de cet âge ne se voient pas attribuer des incapacités temporaires (ITT)…
La réponse fuse, là aussi : « Oui mais madame, vos enfants à vous, et les nôtres, c’est différent. On est des voyageurs. Ils sont costauds nos enfants, c’est pas des chochottes. Mon fils n’arrête pas de tomber avec son vélo. Vous me dites que j’ai frappé mon fils… C’est que des on-dit. »

« Madame, nous ne tapons pas nos enfants »

Alors pourquoi s’est-il caché à l’arrivée des policiers ? « Je me suis caché parce que j’avais 9 mois de prison et j’étais pas pressé de les faire. » Pourquoi l’homme hébergé chez la mère de ses enfants a-t-il dit qu’il avait frappé ses enfants ? Le prévenu est sonné, il ne savait que l’autre avait dit ça. « Je ne sais pas. On l’a insulté. Il a pu avoir peur. Je ne sais pas. »
 « Vous punissez vos enfants ? – Je ne les punis jamais. – C’est pas bien non plus. – Je leur crie dessus, leur mère aussi. Mais, madame, nous ne tapons pas nos enfants. » La présidente ne lâche pas, il ne lâche pas non plus.

Point névralgique : son casier judiciaire

Un juge assesseur observe que le prévenu a changé de déclaration sur un point en cours d’audience, et on arrive au point névralgique : le prévenu a un casier extrêmement chargé. 34 condamnations, essentiellement pour des vols, mais aussi un peu de routier et puis des menaces de mort, des appels malveillants. « Oui, mais depuis que j’ai mes enfants j’ai arrêté. »
Son seul souci : que la mère récupère ses enfants, « sinon elle va se foutre en l’air ». « Je ne suis pas un lâche pour faire du mal à mes enfants ou aux femmes. Mes erreurs du passé, c’est elle qui va les trinquer ! C’est pas normal. »

« En tout état de cause, les enfants sont aujourd’hui protégés »

Maître Ravat-Sandre intervient dans l’intérêt des enfants, au nom du président du conseil départemental 71 en qualité d’administrateur ad-hoc. « En tout état de cause, les enfants sont aujourd’hui protégés. »
La procureur s’appuie sur le seul élément au dossier : « un témoignage qui est irréfragable, celui de madame X, de passage dans la région, qui n’a rien ni pour ni contre, monsieur ». Elle requiert une peine de 10 mois de prison.

Une témoin entend « un enfant » crier  et on poursuit leur père pour les deux enfants ?

Maître Marceau plaide une relaxe. « On a une témoin. Elle dit bien qu’elle ne voit pas ce qui se passe dans la voiture. Elle dit voir un poing et entendre un enfant crier. Un enfant, alors que monsieur est poursuivi pour avoir frappé les deux enfants. On a déjà fait un raccourci. On sait que le petit peut être brutal avec sa sœur. Donc quand la témoin entend ‘Arrête de le/la frapper !’, ça peut s’adresser au petit garçon. La témoin subodore que la petite fille prend un coup de poing : or un coup de poing donné par un adulte de 80 kg sur une petite fille de 3 ans, ça laisse des traces. On n’a pas de traces. »

« Je vous plaide une relaxe »

L’avocat passe en revue chaque point de la procédure : il estime que les enquêteurs n’ont pas enquêté, n’ont pas vérifié. « Ce n’est pas parce qu’un homme a 34 mentions à son casier, qu’il est forcément coupable. Et puis, si la témoin est la clé de voûte de ce dossier, pourquoi poursuivre monsieur pour des violences sur ses deux enfants ? Les bleus sur leurs jambes ne sont pas récents. Je vous plaide une relaxe. »

Condamné pour avoir frappé sa fille

Le tribunal rend une décision mi-chèvre mi-chou : relaxe l’homme pour des violences à l’encontre de son fils, le condamne pour des violences à l’encontre de sa fille, à la peine de 10 mois de prison avec maintien en détention.
Le tribunal ne statue pas sur l’autorité parentale car aux yeux de la loi, le père n’en dispose pas (les enfants portent le nom de leur mère).

« C’est pas humain »

« Madame, c’est encore pire, ce que vous faites. Une fille, c’est le plus important pour un père. Me dire que j’ai frappé ma fille, c’est pas humain. »
Il est devenu tout rouge, il pleure, il veut faire appel de la décision.

FSA

 

 

 






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