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mardi 22 avril 2025 à 06:32

Paray-le-Monial : Salon du livre



 

 

Nous avons, lors de ce salon du livre, posé quelques questions à la conférencière Albine Novarino, sur le sujet « Emile Buisson ». En voici la teneur :

Montceau News : Pourquoi avoir choisi de faire une conférence sur Emile Buisson ?

Albine Novarino : J’ai choisi ce sujet parce qu’il est né à Paray-le-Monial et que sa famille est originaire de Saône-et-Loire. Et parce qu’en vertu du proverbe « Nul n’est prophète en son pays », il y est peu connu des parodiens actuels.

Et également parce que c’est très étrange de constater que les deux « célébrités » de Paray jouent dans des domaines qui sont diamétralement opposés : Marguerite-Marie Alacoque dans la sainteté et l’amour de son prochain, Emile Buisson dans le crime et l’exploitation de son prochain, voire l’extermination de son prochain, voire de ses proches…

Autres raisons : J’ai choisi Emile Buisson car il est une légende dans le monde de la criminalité, bien au-delà de Paray, bien au-delà de la France, mais dans le monde entier. C’est une figure du grand banditisme international, dont le nom restera à jamais gravé dans les annales.

Enfin, aussi extravagant que cela puisse paraître, même si c’est dérangeant d’un point de vue de la morale traditionnelle, quand on s’intéresse à lui et que l’on entend tenter de percer ses mystères, on ne peut manquer de le trouver curieusement attachant. Et par un étrange paradoxe, plus on pénètre dans son intimité, plus il devient mystérieux …

L’histoire d’Emile Buisson

Je vais vous relater l’existence d’Emile Buisson avec le plus d’objectivité possible, sans tenter de vous dissimuler les noirceurs de son âme et sans minimiser les atrocités qu’il a commises.

Quand je me serai tue, ce sera à vous de juger, en votre âme et conscience, si vous aussi vous éprouvez, malgré tout, une sorte de fascination pour ce Parodien au destin hors du commun.

Une naissance parodienne

Emile Buisson nait donc à Paray-le-Monial le 19 août 1902, à l’heure de midi. Son père, qui se prénomme également Emile, vient déclarer sa naissance le lendemain, le 20 août, « à trois heures du soir », comme on disait à l’époque.

Il est âgé de 39 ans, il exerce la profession de meunier, à Gueugnon. Son propre père est fumiste. Il passe pour avoir été un excellent ouvrier au début de sa carrière et on a longtemps cité les travaux qu’il avait effectués dans des briqueteries de Paray et de sa proche région.

Sa mère, Reine Balluriau, a 33 ans quand elle met au monde celui que ses proches appelleront familièrement « Mimile ». Elle est « ménagère », autrement dit, femme au foyer.  Ses parents étaient gardiens du cimetière de Montceau-les-Mines. Elle est issue d’un milieu modeste mais honnête, sa famille est honorablement connue.

La vie qu’elle mène, contrairement à ce que son prénom lui prédisait, n’a vraiment rien de royale. Elle est harassante. Elle mettra au monde dix enfants, dont cinq mourront avant l’âge de vingt ans.

La famille Buisson vit dans une profonde misère, rue du Potet, dans un logement très inconfortable, dans la promiscuité.

Le père de famille ne parvient pas à subvenir aux besoins de sa nombreuse famille. Il se décourage et entre dans la spirale de l’alcoolisme et de la violence. La mère, de santé fragile, perd rapidement pied.

Voler pour se nourrir

 C’est dans ce contexte de dénuement extrême que les enfants Buisson sont incités par leur propre père à voler pour ne pas mourir de faim.

La nuit, ils dérobent des légumes et des fruits dans les potagers et dans les vergers de Paray et des environs, ainsi que des poules dans les poulaillers et des lapins dans les clapiers.

Voler pour voler : la quincaillerie Vinchon de Digoin

Très rapidement, Emile passe de ces « vols alimentaires », de ces « vols de survie » à des vols différents, plus caractérisés. Il est âgé de neuf ans quand il se fait alpaguer pour la première fois par les gendarmes.

Il a fait la connaissance d’une jeune Allemande âgée de quinze ans. Ils ont mis au point un stratagème qui va devenir la marque de fabrique d’Emile. Profitant de sa petite taille (il ne mesurera jamais plus d’1,60m) Emile fait le guet, caché dans une lessiveuse de la quincaillerie Vinchon à Digoin, pendant que sa complice dévalise le tiroir-caisse. Les gendarmes retrouvent la quasi-totalité de l’argent, Emile s’en sort avec une verte semonce. Il a 9 ans.

Deux ans plus tard, il a récidivé. Le 18 octobre 1913, il passe devant le tribunal de Charolles. Il bénéficie alors de l’indulgence des juges. Ils considèrent en effet qu’il a des excuses : sa mère est morte deux ans plus tôt, en 1911. Il est acquitté car il aurait agi « sans discernement », selon la justice.

Dans ce contexte-là, sa scolarité est naturellement pratiquement inexistante. Lors d’une de ses premières interpellations par les gendarmes, alors qu’il était scolarisé à Digoin, son instituteur, un dénommé Ponceblanc lui avait prédit : « Toi, mon gars, tu finiras sur l’échafaud ! ».

L’épisode Lyon : systématisation du vol dans les commerces

C’est en 1911 que le père de famille, devenu veuf et dont la réputation est exécrable dans le Charolais, décide d’aller s’établir à Lyon avec ses enfants.

La famille loge 19, rue du Mont-Dore. Mimile est plus que jamais livré à lui-même sur le pavé lyonnais.

En compagnie de son frère aîné Jean-Baptiste, qui a toujours été appelé « Le Nuss » dans sa famille, il s’attaque maintenant aux vols dans les magasins et aux étalages. Ils ont « amélioré » en quelque sorte la technique qu’Emile avait initiée avec son amie allemande à Digoin à la quincaillerie Vinchon.

Chez les commerçants, ils opèrent de la manière suivante : ils entrent ensemble dans le magasin, après s’être assuré que la vendeuse est seule et se trouve dans l’arrière-boutique. Au déclic de la sonnette actionnée par la porte, la vendeuse accourt. Mais Emile, petit, très souple et très leste a déjà eu le temps de se dissimuler derrière un meuble.

La vendeuse ne voit donc que Jean-Baptiste qui lui demande un renseignement quelconque : le prix d’un objet, une adresse ou la direction de la gare. Elle le renseigne. Il sort de la boutique. Tandis qu’elle est retournée dans son arrière-boutique, Emile sort de sa cachette, opère une razzia de ce qui lui paraît intéressant.

Quand la vendeuse, alertée par un nouveau déclic de la porte, provoquée par le départ du voleur, il est déjà loin.

Premières condamnations

Mais la malchance rattrape le véloce Emile. Bien qu’il soit astucieux, rusé, vigilant, il finit par se faire prendre.

Le 14 novembre 1918, il est condamné à quinze jours de prison avec sursis pour vol.

Le 24 mars 1921, il est condamné à un an de prison.

Remplissage du casier judiciaire : le Tour de France d’Emile

A partir de cette date, le casier judiciaire d’Emile va se remplir avec la régularité d’une horloge suisse. Emile, prudemment, quitte la bonne ville de Lyon et va exercer son activité dans d’autres villes de France, où il n’est pas connu.

Mais à force d’y multiplier les vols, il finit par devenir connu des tribunaux d’Orléans, de Tournon…

L’épisode marocain, la gloire du militaire

En 1922, il a 20 ans, il est appelé pour le service militaire. En raison de ses antécédents judiciaires, il est envoyé au Maroc dans l’infanterie coloniale. A Ouezzan, il fait le coup de feu contre Abd-el-Krim.  Blessé la main droite, il est décoré, pensionné. Il est titulaire du cor de chasse, insigne qui distingue le meilleur tireur du régiment.

Le retour aux braquages, l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul

De retour à la vie civile, Emile reprend les braquages avec Jean-Baptiste sous le couvert d’un métier – il se dit marchand forain -. Il a noué de solides amitiés avec le milieu stéphanois qui est à l’époque l’un des plus redoutables de France. Il est de plus en plus actif et de plus en plus organisé.

Il écume le département du Rhône, il n se contente plus de piller les coffres-forts ou de dévaliser les caisses des commerçants. Il a organisé un véritable réseau de trafic d’armes et de stupéfiants avec l’Espagne.

Il est parfaitement conscient qu’en dépit de toutes ses qualités, il est lourdement handicapé par un problème de taille : il est illettré. Or il lui faut absolument écrire et lire des messages et faire des comptes. Qu’à cela ne tienne.

Il est intelligent, tenace, motivé. Il approche de la trentaine : il s’achète un cahier d’écolier, une grammaire, un manuel de calcul et aura globalement le niveau du certificat d’études. Il se lancera également dans l’apprentissage des langues étrangères. Il parlera notamment le chinois.

L’épisode asiatique

1931 : Jean-Baptiste, dit « Fatalitas », parce qu’il s’est fait tatouer ce mot latin signifiant « fatalité » sur la poitrine a été condamné à la réclusion.

Les deux frères s’étaient faits depuis longtemps le serment que si l’un des deux, un jour, était emprisonné, l’autre mettrait tout en œuvre pour le délivrer.

 Trois jours avant le jour J, Jean-Baptiste – qui sait qu’il n’existe pas d’infirmerie dans la centrale où il se trouve – parvient à se fracturer le tibia avec un des montants de la table de sa cellule qu’il a brisée. Lors de son transfert à l’hôpital, Il échappe à la vigilance de ses gardiens en prétextant aller aux toilettes. Emile et un comparse, Emile Courgibet, le récupèrent et ils font route vers l’Italie.

Jean-Baptiste étant recherché par toutes les polices de France, les frères Buisson s’exilent à Shanghai ville où ils passeront cinq ans. Ils ouvrent un « dancing -maison close » : « Le Fantasio ».

Emile met à profit ses précieuses connaissances sur les stupéfiants et « le Fantasio » devient rapidement un centre international de trafic d’opium.

Le pays est en guerre. Emile achète un avion et parachute des mitrailleuses, des fusils, des grenades et toute sortes de munitions aux belligérants. Peu lui importe qu’il s’agisse de soldats de l’armée régulière ou de rebelles : ce qui compte pour lui, c’est d’être payé rubis sur l’ongle. 

Dans le même temps, les frères Buisson se lient avec un gangster de Chicago qui les initie aux méthodes du banditisme moderne. Mais ils se font escroquer en essayant de mettre en place un trafic aux faux dollars.

1937 : Le tournant de Troyes et le parapluie accusateur

1936 : de retour en France, Emile Buisson renoue avec le crime.

Il est difficile de savoir dans quelle situation précise de fortune il se trouve. Pour certains, il est ruiné. Pour d’autres, il est en possession d’un solide magot.

On peut avancer sans beaucoup se tromper, que s’il a perdu une grande partie de l’argent qu’il avait gagné en Chine, il en a tout de même conservé prudemment une certaine partie et qu’il n’est pas ruiné.

Il se remet rapidement « au travail », compte à son actif de nombreux braquages dont celui de l’agence du Crédit Lyonnais de Troyes, le 29 décembre 1937.

Il s’agit du premier hold-up réalisé par la redoutable « bande des tractions avant ». 

Il s’empare de 1,8 million de francs

Le 6 avril 1938, il est arrêté à Lille, dans un café rue Saint-Nicolas, un établissement qu’il a acheté à une de ses maîtresses, une certaine Jeanne. Quand Chennevier vient l’interpeller, il nie toute participation dans l’attaque de Troyes.

Mais lors de la perquisition, Chennevier avise un vieux parapluie au fond d’une armoire. Il l’ouvre, des billets s’en échappent. Jeanne les avait volés à Emile sans qu’il s’en aperçoive : ils sont identifiés comme appartenant à ceux qui ont été volés à Troyes.  

Emile est incarcéré mais profitant de l’exode de 1940, il réussit à s’évader durant un transfert.

1941 : le contre-espion se marie

24 février 1941 : Émile Buisson rejoint le groupe du contre-espionnage français du commissaire Blémant en compagnie notamment d’Abel Danos, Joseph Rocca-Serra et Jean-Michel (Jean-Baptiste) Chave (Chaves).

Il participe au braquage des encaisseurs du CIC de la rue Taitebout à Paris, au cours duquel un des convoyeurs est tué.

Le 29 octobre 1941, il se marie dans la prison de Troyes avec Odette Genvois. De cette « fille soumise » comme on disait à l’époque, dite « petite main » parce qu’elle a une malformation à la main gauche) il aura une petite fille.

L’enfant est placée en nourrice à Ris-Orangis. De santé fragile, elle mourra à l’âge de 3 ans, d’une méningite. Son père en restera inconsolable. Il disait à se proches, notamment à ses sœurs Jeanne et Eugénie : « Si ma fille avait vécu, je me serais rangé ».

Cette même année, dans un train, en revenant de Marseille, il a commis une maladresse irréparable : en présentant son billet au contrôleur, une balle de revolver tombe de sa poche sur la banquette. Des Allemands présents dans le même compartiment que lui s’en aperçoivent, le ceinturent, l’arrêtent et le remettent aux autorités françaises.

1943 : la condamnation aux travaux forcés à perpétuité

 Le 13 mai 1943, il est condamné par la cour d’assises de l’Aube, aux travaux forcés à perpétuité pour le braquage de Troyes.

  1. Il est transféré à la prison de la Santé à Paris.

Ruse qui atteint son but : il feint d’être atteint de graves troubles psychiatriques. On le croit d’autant plus facilement, qu’il est un manipulateur hors pair et que ses parents sont tous les deux aliénés.

Il est interné à l’hôpital psychiatrique pénitentiaire de Villejuif, dans le Val-de-Marne.

Le 19 juin 1947, il tente une première évasion de Villejuif avec René Girier, dit « René la Canne », mais Marinette, l’épouse de Girier, est trouvée en possession d’un pistolet automatique 6,35 mm, chargé de cinq munitions.

Le 3 septembre 1947, une nouvelle tentative, toujours en compagnie de Girier réussit.

Mais alors qu’ils sont dans la voiture, à cinq kilomètres de l’asile, Buisson dit à Girier : « Tu es trop tendre. Tu me gênes, descends » et il l’abandonne sur le bord de la route.

« L’ennemi public numéro 1 » des Français est finalement capturé

C’est ainsi que l’on surnomme Emile Buisson, redoutable et redouté, auteur de plus de 80 hold-up, qui est en cavale. 2000 policiers sont à ses trousses.

Il trouve d’abord refuge chez « Lulu la fleuriste » 40 rue du Vieux-Pont de Sèvres, à Boulogne, l’amie de la petite Cricri, qui trouvera une mort étrange en 1948. Des policiers chargés de résoudre cette macabre énigme se présentent un jour chez Lulu pour tenter de savoir. Un homme se repose paisiblement sur un divan. Ils l’interrogent… C’est Emile Buisson, qui leur a fourni une fausse identité.

Le soir même il part habiter à Vigneux puis avenue Rapp.

Le commissaire Charles Chenevier fait de l’arrestation de Buisson une affaire personnelle dans le cadre d’une guerre des polices : la Sureté Nationale contre le Quai des Orfèvres.

Il confie le dossier à un jeune policier, l’inspecteur Roger Borniche qui infiltre le milieu.

Emile Buisson est finalement capturé le 10 juin 1950 dans une auberge normande où il avait pris pension « La Mère Odue », située sur la Nationale 13, à Claville, dans l’Eure.

Le procès d’Emile Buisson

Il est précédé de trois ans d’instruction judiciaire.

C’est le procès d’Emile, mais aussi celui de son gang, celui des « tractions avant ».

Il faut éclaircir environ 36 meurtres et agressions.

Emile est condamné à la perpétuité, puis à mort.

Sa demande en grâce auprès du président René Coty est rejetée.

Guillotiné !

Emile Buisson est guillotiné le 28 février 1956 par le bourreau André Obrecht à Paris, dans la cour de la prison de la Santé. Il a 53 ans.

Comme c’est l’usage, sa dépouille est inhumée de manière anonyme au cimetière de Vitry.

Ombres et lumières sur un personnage éminemment dérangeant

Emile Buisson est sans conteste un des plus grands criminels de l’histoire criminelle française.

Mais sa personnalité pose question, parce qu’il est entièrement fait d’immenses contrastes.

Au Mimile, mauvais garçon, qui fréquente les truands, les filles soumises, se superpose l’image de celui que les Parodiens qui l’ont bien connu, ne nomment jamais que « Monsieur Emile », avec un infini respect, louant un homme discret, courtois, aimable, toujours très élégant.

Au cancre de l’école de Digoin se substitue le trentenaire illettré qui apprend à lire, écrire et compter tout seul et qui parviendra même à parler couramment l’espagnol et le chinois.

L’enfant misérable qui n’a reçu aucune éducation devient amateur de whisky et de caviar, sachant parfaitement se tenir à table, maîtrisant codes et protocoles

L’enfant misérable qui est prêt à tout – allant jusqu’à tuer ses meilleurs amis – pour de l’argent alors même qu’il est à l’abri du besoin, peut se montrer d’une générosité extrême dans certains cas.

En effet, il a déboursé sans compter pour faire soigner sa sœur Jeanne, devenue sourde après le bombardement de Toulon. Il donne 100 mille francs à un ami, insolvable, auquel on est sur le point de retirer l’enfant, afin qu’il puisse en conserver la garde).

Ce tueur de sang-froid commet des crimes atroces : il revient tirer une dernière balle dans la bouche de Polledri qu’il accuse de l’avoir doublé, pour être certain que s’il n’est que blessé, la langue coupée, il ne pourra pas parler. Il ne supporte pas de voir souffrir les animaux. Un jour, dans la Creuse, voyant un paysan qui ne parvient pas à égorger un cochon proprement, il tue le cochon et se met en colère en disant « Mais ce boucher est un assassin ! »

Etrange Emile Buisson, il n’a pas fini de livrer ses mystères … C’est à chacun de se faire une idée sur celui qui en montant à l’échafaud, le 28 février 1956, déclare à son bourreau, d’une voix douce et avec élégance : « Faites votre devoir, monsieur, la société sera contente de vous ».

En 1975, Jean-Louis Trintignant a incarné ce gangster dans le film de Jacques Deray, Flic Story.

 

Très belle conférence, qui a valu moult félicitations à Albine Novarino.

 

Nelly Desplanches

 

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