Niches fiscales ou bouées de sauvetage ?
Alors que Bercy taille dans les dépenses, les aides à domicile risquent de passer à la trappe.
Un pari comptable qui pourrait coûter très cher… humainement et économiquement.
Depuis quelques mois, le petit monde politique bruisse d’idées plus ou moins habillées de sérieux sur la manière de faire des économies. L’objectif ? Réduire le déficit, contenir la dette, redonner des couleurs au budget. Certes, il s’agit d’un objectif louable et nécessaire. De toute manière et dans tous les domaines la ministre Amélie de Montchalin n’affirme pas, elle n’exclut pas… il y a là une différence qui ressemble à une pêche au coup. On drague les fonds, on ratisse large. Mais à force de vouloir ratisser large, le gouvernement semble prêt à confondre scalp budgétaire et coupe au cordeau. Dans le collimateur : les fameuses « niches fiscales » — ces dispositifs qui permettent de soulager les ménages tout en accompagnant des politiques publiques essentielles. L’aide à domicile, par exemple. Une niche ou un pilier discret mais indispensable de la solidarité nationale ?
Un service à la personne ou un luxe fiscal ?
L’expression « niche fiscale » sent déjà le chien de garde mal luné. Or, derrière ce vocable technocratique se cache souvent tout autre chose : une volonté politique de longue date de favoriser certaines pratiques jugées bénéfiques pour la société et déclarées cause nationale. C’est le cas du crédit d’impôt de 50 % pour l’aide à domicile, qui concerne des millions de Français — et pas seulement les plus aisés.
Rappelons que ces aides ne consistent pas à subventionner des majordomes, mais à permettre à des personnes âgées, handicapées ou en perte d’autonomie de rester chez elles dignement : aide à la toilette, repas, ménage, lien social… Une présence humaine dans un monde qui tend à les oublier.
Sous prétexte d’économies (6,7 milliards €/an), le gouvernement menace un pilier discret de solidarité. À long terme, le “gain” budgétaire pourrait se solder par un gouffre financier et humain.
Un dispositif essentiel… et coûteux
- Crédit d’impôt “emploi à domicile”
- 50 % des dépenses remboursées,
- Plafond de 12 000 €/an (15 000 € ou 20 000 € selon la situation),
- 6,7 milliards € dépensés en 2023 pour 4,5 millions de foyers bénéficiaires.
- APA (allocation personnalisée d’autonomie)
- Jusqu’à 1 923 €/mois (GIR 1-2), versée par les départements,
- 1,3 million de seniors aidés à domicile.
- PCH (prestation de compensation du handicap)
- En moyenne 1 100 €/mois, modulée selon les besoins.
- Couvre aide humaine, aménagements, aides techniques.
- Aides complémentaires
- CESU préfinancés, aides des caisses de retraite, aides sociales locales…
- Ensemble, > 10 milliards € mobilisés chaque année.
Cet écosystème fait vivre 800 000 salariés de l’aide à domicile et permet de maintenir chez eux des personnes âgées, handicapées ou en perte d’autonomie, évitant des placements institutionnels coûteux.
Avantages économiques et sociaux
- Économie réelle sur les EHPAD
- Placement : 2 200 €–3 000 €/mois par personne,
- Maintien : 2 à 3 fois moins cher.
- Économie unitaire : 15 000–25 000 € par personne et par an.
- Effet multiplicateur
- Emploi non délocalisable, cotisations sociales, TVA, consommation locale.
- Rendement net : chaque euro investi rapporte 1,30–1,50 € à la collectivité (France Stratégie, 2018).
- Amortisseur social
- Soutien aux familles nombreuses, monoparentales, aux aidants familiaux.
- Prévention du burn-out, maintien de l’emploi, cohésion du tissu familial.
Le mirage des “économies” à court terme
Poste impacté
Économies à court terme
Coût à long terme
Crédit d’impôt (6,7 Md €/an)
– 6,7 Md €
+ 15–25 Md € (EHPAD, hôpital)
Parent qui quitte son emploi
Économie de 30–40 k€ salaires/an.
Perte de cotisations, impôts, baisse de consommation
Aidant familial en burn-out
Économie sur indemnités zéro
+ coûts de santé, arrêts maladie, aides d’urgence
Usine à gaz administrative
Économie administrative minime
Inégalités accrues, recours à des prestataires plus chers
- Perte de recettes fiscales et sociales : moins de cotisations, moins de TVA, moins d’impôts.
- Hausse des dépenses invisibles : soins, aides d’urgence, allocations familiales d’urgence, médiations sociales.
- Précarisation des foyers “intermédiaires” : trop riches pour aides sociales, pas assez pour se passer du crédit d’impôt.
Quel paradoxe pour la collectivité !
En cherchant à économiser 6,7 milliards €, l’État s’expose à devoir dépenser trois à quatre fois plus sur d’autres postes. C’est un pari perdant :
- D’un côté, on rabote l’aide à domicile.
- De l’autre, on alourdit les coûts des EHPAD, des hôpitaux, de la protection sociale.
Conclusion : un choix de société
Le crédit d’impôt pour l’emploi d’un salarié à domicile n’est pas une simple niche fiscale, mais un investissement préventif, social et économique :
- Il maintient l’autonomie et la dignité de 1,3 million de personnes.
- Il soutient 4,5 millions de foyers et 800 000 emplois.
- Il évite des dépenses sanitaires et institutionnelles massives.
Réduire ou supprimer ce dispositif, c’est sacrifier un pilier discret de solidarité, avec pour seuls gagnants des économies comptables illusoires et pour seuls perdants une explosion des coûts sociaux et humains.
Bien entendu, il y aura toujours des voix pour hurler aux fraudes potentielles, pour souligner que certains ont les moyens et bénéficient de ces aides (indûment donc), pour donner un exemple unique qu’elles veulent universel, mais en l’occurrence, c’est regarder le doigt et pas ce qu’il montre.
Gilles Desnoix