Rubrique hebdomadaire
Du côté de la librairie......
Du côté de la librairie…...
Un bon polar ? Le parcours d’un enfant des rues ? La poésie d’une jeune esclave sur le point de rompre ses chaînes ? Voici un avant-goût de la chronique littéraire de cette semaine.
Envie de lire
Cette semaine, je vous propose un mélange des genres afin que chacun trouve une lecture à sa convenance. Je reviendrai donc sur trois ouvrages en cours de parution : un polar culinaire, un témoignage venant des Indes et, pour finir, un superbe roman sur l’esclavage en Afrique du Sud. Mais pas que.
L’assassin de la nationale 7
Début septembre 1929. Adrien Savoisy, né en 1900, est enquêteur gastronomique occasionnel pour le Guide Michelin. Il est aussi un grand amateur de voitures de luxe et c’est au volant de sa toute nouvelle Delage 28S qu’il prend la Nationale 7 direction Antibes pour aller y tester tous les nouveaux hôtels de luxe . Dès sa première étape, à Saulieu, Adrien est témoin de la mort d’un obèse au restaurant « La Côte d’or ». Puis d’un accident de voiture suspect à Nuits-Saint-Georges. A Mâcon, un cuisinier trouvera la mort dans d’horribles conditions. Il n’est pas le seul témoin. Un petit groupe hétéroclite de voyageurs suit le même chemin que lui. Dont Curnonsky, un célèbre critique culinaire. Adrien va mener l’enquête entre gratin d’écrevisses, poularde de Bresse truffée et île flottante aux pralines roses…
Quelle promenade que de lire ce livre ! J’avoue, je ne suis pas très polar. Mais avant l’intérêt de l’intrigue policière, j’ai avant tout pu profiter d’une longue ballade le long de la nationale 7 avec arrêts dans les meilleurs restaurants français. Et quand on sait que les 90 premières pages du livre se déroulent en Bourgogne, on ne peut que féliciter l’auteure, Michèle Barrière, spécialiste du polar historico-gastronomique, de ses excellentes et succulentes descriptions. D’ailleurs, les recettes dégustées tout au long du périple sont données à la fin de l’ouvrage !
Après la Côte-d’Or à Saulieu, Le Chevreuil à Meursault, Lameloise à Chagny, nous voici donc partis pour la capitale des Gaules, puis Antibes, à la suite d’Adrien qui recherche le meurtrier de la nationale et rencontre par la même occasion la belle Rebecca. Du couple d’Anglais pique-assiette au vendeur de matériel culinaire peu fiable, en passant par le gros Curnonsky ou Yvette, poule du défunt Marcel, c’est toute une palette de personnages pittoresques qui accompagnent cette descente sur la Côte d’Azur. Ce polar, bien qu’à mon sens peu palpitant en termes d’intrigue, a le mérite de décrire l’effervescence des années Années folles, le monde feutré et arrogant des critiques gastronomiques et celui, un brin décadent, de la Riviera. Bien que le dénouement se profile assez rapidement, on reste volontiers dans la Delage du héros pour savoir qui a fait griller le cuisinier et occis le pauvre Marcel.
L’assassin de la nationale 7. Michèle Barrière. Livre de Poche, 2014. Coll. Policier. 12,10 €
La vie c’est la vie
Né en 1980, Amin est un enfant des rues, comme il y en a des milliers en Inde. Il a vécu dans les gares de Bombay, sautant d’un train à l’autre, cherchant de quoi se nourrir, cherchant une lumière protectrice pour dormir. Pour survivre et échapper aux dangers, Amin a mendié, porté des valises, ciré des chaussures, vendu des journaux… Sa rencontre avec Sœur Séraphine va être déterminante : elle va le conduire auprès de l’ONG indienne Snehasadan, qui propose un foyer et une éducation aux enfants sans abri. C’est là, entouré d’une nouvelle famille et sous l’œil bienveillant du Père Placie, qu’Amin a repris confiance. Il s’est trouvé un « nouveau » père, Eustace, qui va le pousser dans la réalisation de ses rêves. A aujourd’hui, 30 ans, avec courage et détermination, Amin a décider d’écrire son autobiographie afin de témoigner de son expérience et de financer son grand projet : ouvrir un café-bibliothèque solidaire qui offrira un emploi aux jeunes issus de Snehasadan.
Il est difficile de classer cet ouvrage dans un genre particulier : ce serait à la fois la biographie d’un tout jeune homme, un témoignage, une leçon de vie, un appel pour poursuivre un rêve. Ou tout à la fois. Dans ce court opus, Amin Sheikh nous livre de manière très humble et sans apprêt littéraire un témoignage de sa vie d’enfant maltraité, né dans une famille rongée par l’alcoolisme et les préjugés. Il revient de loin et n’a oublié ni le chemin parcouru, ni ceux qui l’ont aidé à devenir un homme. Rempli de projets, il cherchait juste des mains tenues, qu’il a trouvées et su saisir. Très simple, ce livre apporte une vraie note de fraîcheur et d’espoir pour ceux qui pensent que tout est possible.
Extraits : « Au cours de mon histoire, j’ai rencontré d’innombrables gens. certains sont partis de très loin, d’autres sont devenus si proches qu’ils sont comme ma famille et d’ont donné l’amour et l’attention nécessaires pour grandir. Le temps, qui n’attend jamais personne, m’a montré toutes ses couleurs. Il m’a apporté de la souffrance mais aussi de la joie. Il m’a donné les amis qui aujourd’hui me soutiennent, m’a offert une vie remplie de belles personnes. Que demander de plus ? A mon avis, il en va ainsi : si vous croyez au bien, vous voyez Dieu. Mon dieu à moi, c’est le bien qu’on voit chez les autres ».
La vie c’est la vie. Amin Shiekh. Marabout, octobre 2014. 15,90 €
Philida
Afrique du Sud, 1832. Philida, jeune esclave tricoteuse du domaine Zandvliet a eu quatre enfants avec François Brink, fils de son maître (le baas). Lorsqu’il se voit contraint d’épouser une femme issue d’une grande famille du Cap, dont la fortune pourrait sauver l’exploitation familiale, François trahit sa promesse d’affranchir Philida, et envisage de la vendre dans le Nord du pays. Celle-ci décide alors d’aller porter plainte contre la famille Brink auprès du procureur des esclaves. Sous les bruissements d’une l’émancipation toute proche des esclaves, qui se propage de ferme en ferme, cette décision sera celle qui la conduira sur un chemin insoupçonné, jalonné de luttes, de souffrance, de révélations, d’espoir.
Philida est le genre de livre qui prend aux tripes. A travers la découverte de ce pan de l’histoire de l’Afrique du Sud, à savoir les prémices et l’abolition de l’esclavage dans l’Empire britannique en 1833, on découvre la jeune Philida, minuscule femme aux yeux d’obsidienne, qui à force d’opiniâtreté va se libérer de ses entraves. On prend sa souffrance et ses espoirs à bras-le-corps dans un roman plein de poésie, mais brûlant comme la terre d’Afrique et rugueux comme les mots de l’héroïne.
La lecture de ce livre peut en effet surprendre, car elle se fait à plusieurs voix : tantôt nous lisons les paroles de Philida, avec un phrasé si bien écrit que l’on pourrait presque entendre les consonances des mots prononcés par la jeune tricoteuse. Tantôt François, le fils, qui cherche des excuses à sa lâcheté et ne comprend pas les refus de celle qu’il aime. Tantôt Petronella, vieille esclave affranchie et mère du maître des lieux, connaisseuse de tous les secrets. Tantôt le narrateur, qui fournit des indications sur le déroulé de l’histoire. Chacun dit sa vérité, et c’est au lecteur de retricoter les dires de chacun pour s’approprier ce récit. Ce sont autant de points de vue croisés et entrechoqués qui font se dérouler cette histoire âpre et sans concession, au cours de laquelle nous voyons Philida changer, oser parler, subir les affres de la vengeances du baas, et laisser petit à petit transparaître ce poids qu’elle porte en elle et qui la ronge : la mort atroce d’un enfant. Les mots en afrikaans ponctuent les dialogues, liés au texte sans concession. C’est un récit presque autobiographique que nous livre ici l’auteur, André Brink, qui avait notamment publié le très beau « Une saison blanche et sèche » en 1980, adapté au cinéma. Il s’est inspiré pour cela d’un épisode de sa propre histoire familiale.
Philida pourrait presque être un hymne à la volonté et l’espoir. Un parfait chant à la liberté.
Philida. André Brink. Actes Sud, 2014. Série Lettres Africaines. 23 €
Véronique Décrenisse-Kieny