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jeudi 24 janvier 2019 à 09:40

Assises de Saône-et-Loire

3ème jour du procès d’André Gosset..



 

 
 

Au 3ème jour, de promesse en promesse, tous ceux qui attendent le grand soir au procès d’André Gosset et de deux co-accusés devant la cour d’assises de Saône-et-Loire, en sont pour leurs frais.

 

 

Neuf mois à espérer que le témoignage d’Angélique C. éclairerait, comme le principal accusé l’annonçait, d’un jour nouveau la scène sanglante qui s’est déroulée le 12 mai 2014 à la Clayette au domicile de monsieur L. S. mais que dalle. L. S., un monsieur déjà âgé fut victime ce soir-là d’une telle agression qu’il s’est évanoui sous la douleur et crut en se réveillant qu’un tremblement de terre avait subitement tout chamboulé chez lui. Monsieur S. est aveugle, il n’avait plus ses repères habituels, et naturellement il n’a pas vu son agresseur.

 

 

Réclusion criminelle à perpétuité, la mort pénale

 

 

Celui qu’on accuse a lui aussi perdu pas mal de repères. Le tremblement de terre, il l’a connu en 1987. André Gosset, né en 1964, avait 23 ans lorsque le verdict est tombé : réclusion criminelle à perpétuité pour une tentative d’homicide. Selon l’observatoire international des prisons, ces condamnés-là représentent moins d’1 % des détenus, condamnés à ce qu’on appelle aussi « la mort pénale ». Cette mort lente vous travaille le corps et l’esprit d’une façon bien spécifique, André Gosset ne le sait que trop bien et le rappelle à chaque fois qu’il a la parole. Alors, toujours calé sur l’idée que ce soir-là, en mai 2014, ils étaient deux, et qu’il a voulu secourir la victime rouée de coups par un autre (dont il taira le nom), l’accusé principal joue d’effets d’annonces, mais à chaque fois, ça fait flop, sauf à le suivre sur une voie : il ne cherche qu’à démontrer qu’à la Clayette, il fut un bon copain, un homme aimable, affable, serviable. Généreux, courtois, faisant montre d’élégance et de sensibilité à l’égard des femmes, et particulièrement d’Angélique C. qui l’hébergea un peu.

 

 

« Pourquoi vous avez demandé à vos collègues de détruire l’arme, vous, le pro des braquages ? »

 

 

L’arme qui lui a valu de prendre du plomb dans le ventre fut détruite. Gosset a eu le temps de la remettre à Franck R., qui l’a passé ensuite à Fabien G., lequel le regrette, d’ailleurs, parce que ça lui a valu d’aller au ballon lui aussi, mais enfin à l’époque, il buvait entre « six et huit litres » d’alcool par jour (du rosé au café, « parce que c’est moins cher »), et se trouvait dans un état incertain. À coup de meuleuse il a débité le fusil en une douzaine de morceaux qu’il a collé en vrac dans un conteneur, la partie en bois a alimenté le feu de son barbecue. Hier, mardi 22 janvier, au second jour du procès, André Gosset essayait de faire dire à l’un des experts en balistique (missionné pour faire une contre-expertise) qu’il n’avait pas pu se tirer dessus tout seul, que ça n’était pas possible. « On n’est que des réducteurs d’incertitudes », répond l’expert. Gosset insiste. « Ce que vous décrivez n’a rien d’impossible, mais en faisant disparaître l’arme, c’est comme si vous me demandiez de rouler la nuit après avoir cassé tous mes phares, tout en attendant que j’y voie clair. »  « Pourquoi vous avez demandé à vos collègues de détruire l’arme, vous, le pro des braquages ? » provoque Jean-Michel Ezingeard, avocat général de ce procès. « Ben… y avait de l’ADN dessus. »

 

 

« 23 ans de prison et 27 transferts, vous croyez pas que ça influe sur les affects ? »

 

 

Les enquêteurs ont retrouvé l’ADN d’André Gosset dans toutes les tâches et traînées de sang à l’étage de la maison de L. S., mais ça n’est pas vraiment le souci de l’accusé. Son principal souci reste : « Je vais finir ma vie en prison. » Ce mercredi 23 janvier se sont succédés deux experts, un psychologue (en visio), puis un psychiatre qui est venu à la barre. Le psychiatre raconte un homme deux fois enfermé : en prison, et sur lui-même. « Carences affectives et éducatives majeures », « ressent une hostilité », « projette des intentions négatives chez les autres ». Il conclut « son état est compatible avec une altération de son discernement ». Caroline Podevin, présidente de la Cour, observe que c’est la première fois que l’altération est évoquée. André Gosset en a subi plusieurs lors de différents procès. « Vous croyez pas que 23 ans de prison et 27 transferts, vous croyez pas que ça influe sur les affects ? » dira-t-il un peu plus tard.

 

 

La vie entre quatre murs, la vie contrainte, les déplacements sous entrave

 

 

« Il ratiocine », reprend le psychiatre après avoir subi une vague. L’accusé avait repris les points de son expertise, touché et peut-être blessé d’être ainsi fixé sur une planche comme un insecte. Autant de mots, autant d’épingles : « logorrhéique », « un peu théâtral », « se pose la question de son masochisme moral », « il est très froid, cet homme, c’est pas très vivant à l’intérieur », « il est sans cesse projectif, à mon avis, ça lui gâche la vie ». Si l’on écoute l’intéressé, ce qui lui a gâché et lui gâche la vie, c’est ce fichu verdict de « perpétuité » (qu’il encourt à nouveau), c’est la vie entre quatre murs, la vie contrainte, les déplacements sous entrave, c’est de ne plus savoir (il l’a clairement dit en mars 2018) exister autrement que selon le mode de ce qui l’a mené en prison. Il en a marre de passer pour ce qu’il n’est pas, mais du coup il a du mal à assumer aussi ce qu’il a fait (tout occupé à se défendre de ce qu’on dit de lui), sans préjuger de quoi que ce soit : ce qui a motivé son intervention armée au domicile de L. S. reste soumis à des paramètres changeants et imprévisibles.

 

 

« Je sais que je vais finir ma vie en prison. Si j’en parle pas aux assises, j’en parle quand ? »

 

 

Le psychiatre a noté dans son rapport d’expertise que l’accusé « lit Kant ». Faux ! s’élève André Gosset. « Je lis Nietzsche, Freud, Fromm, et puis votre collègue, là, qui dit que les psychiatres sont un peu embourgeoisés (sourires de la Cour et dans la salle), mais j’ai pas lu Kant. » Sur le reste : « Je sais que je vais finir ma vie en prison, et je ne suis pas en train de chouiner, mais c’est ma dernière audience. Cette peine (perpétuité) a foutu ma vie en l’air, et si j’en parle pas aux assises, j’en parle quand ? Lors du jugement de Clairvaux*, maître Winter défendait tous les accusés. On a été jugés 7 ans après les faits. L’avocat dit aux autres, ‘là, vous auriez été libérés’, et à moi il dit : ‘condamné à perpétuité, je ne sais pas comment j’aurais réagi’. Et c’est ça qui me gêne. Des gens viennent, ils parlent de moi, ils disent… bon… et quand je dis qu’on peut vérifier, on ne vérifie pas. Je vais finir en prison, mais en 30 ans j’ai pas enlevé la vie à quelqu’un. » La présidente hausse un sourcil.

 

 

Monsieur L. S., la victime, revit un traumatisme vieux de 53 ans

 

 

Les deux co-accusés et leurs avocats, maître Ronfard et maître Mirek, voient les heures s’écouler, car si les rôles des deux hommes ont leurs importances, ils ne sont pas constitutifs de crimes, ils auraient pu être jugés devant un tribunal correctionnel et André Gosset prend toute la place, de par la gravité de ce dont il est accusé, et par son comportement, adossé à une vie carcérale peu commune qui frappe l’imaginaire. André Gosset oscille en permanence entre ce qui peut alimenter cet imaginaire (une vie de truand, avec ses relations, sa culture spécifique, etc.), et ce qui peut l’éteindre (un homme sympa, au comportement valeureux). Coincé dans l’oscillation, un « grand-père », comme disait Angélique C., facteur dans sa prime jeunesse, puis engagé comme tirailleur en Algérie. Il sauta sur une mine en 1961, devint progressivement aveugle et vit lui aussi sa vie marquée d’une perpétuité et d’un enfermement, nourri par une pension d’invalidité de l’armée. L’expert psychologue rapporte que l’agression du 12 mai 2014 est venue réveiller le traumatisme de l’explosion de la mine avec son cortège d’angoisse, d’hypervigilance, de cauchemars. Depuis, L. S. a perdu de son autonomie, de son allant.

 

 

« Radio la Clayette » : « même ce que t’as pas fait, les gens le savent »

 

 

Hier en fin de journée, André Gosset promettait un autre témoignage crucial. Il a fallu un mandat d’amener et deux gendarmes pour déplacer ce témoin qui ne voyait pas comment venir jusqu’à Chalon. Enrique D. ne sait plus trop un tas de choses, mais il dit tout de même que « Dédé avait bon cœur, il discutait bien, il n’était pas agressif du tout ». Sur « radio la Clayette », il est catégorique : « même ce que t’as pas fait, les gens le savent. » André Gosset décide d’interroger lui-même le témoin. Sur les faits ? Absolument pas. Sur son rapport aux dames, dont Angélique C. ça me gêne qu’on pense que j’ai pu faire des propositions à des filles. » La présidente et l’avocat général ne voient pas le rapport avec le procès. « Je voulais qu’Enrique vienne vous dire que je ne me suis jamais mal comporté avec madame Angélique C. » Dont acte. Le rapport avec l’enjeu du procès, c’est que la présidente et l’avocat général avaient profité de la présence du médecin psychiatre pour l’interroger sur la dangerosité de l’accusé, et que ses réponses n’étaient pas encourageantes. « Est-il socialement dangereux ? – Oui. – Est-ce qu’en sortant de prison, il perd ses repères, et le passage à l’acte est inévitable ? – Oui. – Est-ce qu’un passage au 3ème et au 4ème âge pourrait tempérer le risque ? … » André Gosset rit pour lui-même. Ce rire est peut-être, comme on le dit de l’humour, une politesse du désespoir. Dangereux, mais pas toujours, il a voulu l’établir.

 

 

Si… « Ça n’aurait pas été la même histoire »

 

 

Posé à la Clayette (« posé » est un euphémisme, à l’aune des histoires et embrouilles diverses qui tenaient leur monde, là-bas), le détenu en cavale attendait des papiers, il voulait rejoindre les Balkans. « J’aurais pu partir là-bas, finir ma vie là-bas, ou revenir ici 10 ans après, ça n’aurait pas été la même histoire. – Oui, mais il y a eu le 12 mai 2014 », complète la présidente.

 

 

Florence Saint-Arroman

 

 

 

Ce jeudi 24 janvier, le matin est consacré aux expertises psychiatriques de Fabien G. et Franck R., respectivement poursuivis pour destruction de preuve (l’arme), et recel (toujours l’arme). Maître Braillon interviendra pour la victime, puis viendront les réquisitions, les plaidoiries (maître Mirek, maître Ronfard, et maître Lépine pour André Gosset). Temps du délibéré, le verdict devrait être rendu dans la nuit.

 

 

https://www.liberation.fr/societe/1999/10/15/le-proces-de-la-grande-evasion-deux-detenus-et-un-surveillant-de-clairvaux-sont-morts-lors-de-la-cav_286154

http://www.info-chalon.com/articles/faits-divers/2018/03/08/36171/assises-de-saone-et-loire-andre-gosset-avait-pris-perpetuite-en-1987-mais-il-s-etait-evade/

 

 

 

tribunal 0310172



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