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mardi 13 janvier 2015 à 07:33

Du côté de la librairie…

Envie de lire… des vies, à l’ombre de Charlie



 

Envie de lire…

des vies, à l’ombre de Charlie

 

Presque en hommage à Charlie et sa liberté, sans le vouloir, la sélection de cette semaine parle de la vie. Celle à laquelle tout le monde a droit, celle que l’on doit préserver. Celle pour laquelle on doit résister. J’ai mal à Charlie, même si je n’en étais pas lectrice. Parce que la lecture, l’écriture, le dessin font partie de la démocratie, et que nul ne peut ôter une vie pour une opinion différente.

 

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Compte tenu de l’actualité, je débuterai cette rubrique par le livre de Stéphane Guibourgé. Pour tout dire, j’ai commencé sa lecture sans conviction, avant le massacre de Charlie. Et je l’ai terminée après. Encore plus convaincue du danger de l’obscurantisme, de la haine, du danger de l’inculture et de la facilité qu’il y a à basculer dans la haine de l’Autre plutôt que dans la compréhension.

 

On y découvre le parcours de Jean-Philippe, 20 ans dans les années 80. A cette époque, il voit son père baisser peu à peu les yeux devant des patrons qui l’humilient. Il se sent fils de rien, il vit dans sa banlieue avec les autres « humiliés » du ghetto. Pour fuir le mauvais côté du périphérique, quitter les jardins ouvriers à l’abandon, abandonner ses amis Kader ou Abdou, et rejoindre la Meute. Une bande de skinhead où il prendra le nom de guerre de Falco, et avec laquelle il va traquer et assassiner, au nom de Rien. Jean-Philippe va frapper, briser, violer, connaître la prison, la haine, la honte. Vingt-cinq ans plus tard, exilé, il tente de reconstruire cette vie et de comprendre, retiré du monde, ce qui l’a poussé dans la violence.

 

Triste rappel d’une situation que la France redécouvre, sous d’autres cieux et avec d’autres prétextes, mais qui existait déjà, avec d’autres haines et d’autres violences qui ne demandent qu’à se réveiller.

 

Extraits : « Il n’est de jeunesse que violence. C’est le sang qui veut prendre le pouvoir et l’obtient par l’urgence. Il arrive que les livres, les mots, les chants d’une langue puissent apaiser cet incendie, et calment la vie. Il n’est plus aujourd’hui de jeunesse qu’entravée. Contrôlée, assignée, surveillée. Livrée aux écrans, au langage, livrée aux images, aux marques. Ses égéries. Un mort devenu icône instantanée. Jetable.
Il n’est plus de jeunesse qu’abandonnée.
Plus de jeunesse. »

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Stéphane Guibourgé. Les fils de rien, les princes, les humiliés. Paris : Fayard, 2014. 200 p. 12 €

 

Ce second livre est presque une réponse au précédent, un contre-exemple. L’histoire commence de manière presque trop banale. Ahmed est élève de seconde dans une ville du Val-de-Marne, dans un lycée de banlieue où les profs, à force d’être confrontés à des cas difficiles, ont toutes les raisons d’être lassés, et où les élèves perdent leur estime d’eux-mêmes, devant une vie faite de violence, d’insultes et de manque d’avenir. Mais leur prof principale va leur permettre de sortir de ce marasme en les inscrivant au concours national de la résistance et de la déportation. Un pari fou auquel cette enseignante croit, et qui va entraîner toute la classe à sa suite. De rencontres d’anciens déportés en découvertes sur le Web, les jeunes vont s’unir et travailler jusqu’à remporter le concours. A une époque qui excite l’antisémitisme et le racisme, cette victoire devient puissante.

 

Mais au-delà de cette victoire, nous découvrons surtout Ahmed, qui petit à petit va se transformer. Conscient des difficultés de son milieu mais aussi des errements dans lesquels il a manqué de se perdre, il décide de se battre pour décrocher son bac, écrit un scénario et un livre sur ces faits qui ont bouleversés sa vie. « J’ai ma propre chair, mais je porte la même peau. Qu’un blanc, qu’un noir, qu’un juif. J’ai une histoire particulière, un trajet spécial qui fait de moi une exception. Mais j’appartiens tout autant à l’Histoire, celle de l’Homme, et, à ce titre, je suis les autres. Et nous sommes tous des exceptions ».

 

A l’heure où je termine cette rubrique, je relis avec un autre regard cette dernière page. Sans aucune morale particulière, simplement à la lumière d’événements qui nient cette vérité. Nous sommes tous des exceptions.

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Ahmed Dramé. Nous sommes tous des exceptions. Paris : Fayard, 2014. 172 p. 15 €

 

Emballée dans un étui so British, j’aime à penser que la dernière proposition de la semaine est un pied de nez à ceux qui veulent nous faire peur. Et si la reine d’Angleterre se découvrait une passion pour la lecture ? Dans cette drôle de fiction proposée par Alan Bennett, Sa Majesté Elisabeth découvre, un détour d’un bibliobus, les plaisirs des livres, au point de délaisser ses obligations royales. On la suit au gré de ses inaugurations et réunions ministérielles avec un livre caché sous son coussin, ou délaissant ses horribles chiens pour terminer un roman. Des sœurs Brontë à Jean Genet, en passant par Henry James, elle va se délecter et plonger le monde de Buckingham Palace dans l’inquiétude. Le protocole s’en trouve mis à mal, les conseillers ne conseillent plus, les émissaires se voient questionner sur leurs auteurs nationaux….

 

Une véritable révolution dans les couloirs feutrés du palais ! Cette farce satyrique se termine, dans l’humour anglais grinçant, sur un constat : la lecture a un pouvoir subversif. Quand bien même, doit-on pour l’interdire ou en user ? Une réflexion que je vous livre…

 

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Alan Bennett. La Reine des lectrices. Paris : Folio, 2014. 122 p. 8.50 €

 

Véronique Décrenisse-Kieny

 

 




 

 



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