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dimanche 10 mai 2015 à 08:42

Musée de la Maison d’Ecole

Quelques témoignages d'une époque lointaineMais pourtant si proche !



 

 

 

Quelques témoignages d’une époque lointaine

 

 

Mais pourtant si proche !

 

 

 

 

DES CONDITIONS DE VIE MODESTES DES INSTITUTRICES ET DES INSTITUTEURS :

 

« Relativement peu nombreux : ils sont 120 000 en 1914, les instituteurs payés par l’état ne sont plus en principe dépendants des autorités locales, du maire, du curé, des familles. (..) La condition matérielle de l’instituteur n’a pas cessé d’être médiocre.

 

 

 

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Institutrices vers 1890 (collection musée)

 

 

 

 

« Le traitement de début, rappelle un témoin qui débuta en 1904, ne permettait pas à l’instituteur de vivre normalement sans l’aide de sa famille; et celui de 1914 était bien insuffisant si la femme ne possédait aucune ressource. » (..)

 

 

A partir de la fin du XIXème siècle, l’habitude s’ancre d’épouser une collègue : deux traitements insuffisants permettent, de l’avis général, de vivre convenablement en ménage. Deux tempéraments à l’étroitesse obligée d’un tel train de vie : les ressources d’un petit bien ou d’un héritage, assez fréquentes pour les instituteurs issus de la campagne, et les « avantages en nature », souvent acquis aux maîtres dans les villages. Avec le logement qui leur est dû, ceux-ci ont plus souvent un jardin qu’auparavant. La construction des « palais scolaires » a eu entre autres cette conséquence. (..)

 

 

Les Ecoles Normales recrutent cependant sans difficulté. Le métier est perçu comme une promotion sociale et une sécurité par les instituteurs qui sont, en majorité, d’origine paysanne. »

 

(« Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation », F.MAYEUR)

 

 

 

 

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Institutrices vers 1900 (collection musée)

 

 

 

 

 

 

TEMOIGNAGES D’ENFANTS :

 

 

« Les témoignages qui ont le plus marqué mon enfance se rapportent à l’époque des laïcisations, lorsque ma mère fut nommée dans le canton de Charolles, en 1903 ou 1904. Seules les religieuses en habit enseignaient les filles de la localité. Elle y créait donc l’école laïque. Tout de suite ce fut la guerre… En chaire, le curé se déchaîna contre la nouvelle école et tout ce qui s’y rattachait. Maîtres, parents, élèves furent voués à l’enfer. A l’église, le petit groupe des laïques (5 à 10 élèves) fut parqué loin des élues (une trentaine) qui continuaient à aller chez les sœurs. Au catéchisme, mêmes avanies. Bien que je fusse beaucoup plus calé en instruction religieuse que les petits paysans qui m’entouraient, j’étais maintenu dans un rang médiocre. Il ne convenait pas que le fils de la laïque fût reconnu meilleur que les autres ! C’est là que j’ai commencé à douter de la justice divine et à perdre la foi… » (F.C, 1893, Saône-et-Loire)

 

 

 

« Nous étions, mes parents et moi, très étroitement mêlés à la vie du village, nous étions invités à tous les mariages, associés à tous les deuils. Nous étions « la dame, le monsieur et la demoiselle ». Il faut reconnaître d’ailleurs que les conditions de vie chez les ménages d’instituteurs étaient plus confortables que celles des cultivateurs et des ouvriers qui les entouraient. On y mangeait mieux; on y était mieux vêtu; on était les seuls au village ou à peu près à posséder des lits à sommiers et matelas; chez les autres il y avait des paillasses et des lits de plumes. » (Mme F, 1893, Saône et Loire)
(D’après M. Ozouf, L’école de la France)

 

 

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Une institutrice et ses élèves de l’école de filles de Montceau, 1904 (collection musée)

 

 

 

 

MADAME BESSEIGE, DIRECTRICE DE L’ECOLE DE FILLES DE LA RUE CENTRALE A MONTCEAU VUE PAR SON FILS :

 

 

Aux débuts de Montceau, la rue Centrale, qui n’était pas encore la rue Carnot, était déjà le cœur de la cité minière. Une école primaire publique y avait été construite par l’équipe municipale républicaine du docteur Jeannin, qui avait battu l’équipe Chagot aux élections de 1878. C’était l’école des filles ; l’école primaire publique des garçons avait été construite simultanément rue de l’Est, aujourd’hui rue Jean-Jaurès.

 

 

Madame Besseige (née Pierrette Roy), en fut la première Directrice, d’abord chargée de la classe du Certificat, puis, vers les années 1890, d’une classe de Cours Complémentaire, qui préparait au Brevet Elémentaire et au concours d’entrée à l’Ecole Normale.

 

 

Madame Besseige exerça ses fonctions jusqu’à son admission à la retraite en 1911.

 

C’est dans cette école de filles que naquit Henri Besseige, le fils de Pierrette, le 19 juin 1887. Sa jeunesse se passa tout entière dans les murs de la grande bâtisse, qu’il décrit, dans un livre de souvenirs ( Au Pays Noir, 1952), comme une « grande maison grise aux multiples fenêtres, au fronton de laquelle on a gravé, il y a bien longtemps, une inscription qui tient bon : École communale de filles – 1881 » :

 

 

« Neuf heures. C’est la fin d’une longue journée laborieuse et la veillée s’achève dans notre grande cuisine. La mémé tricote au coin du feu. (..) Autour de la longue table rectangulaire baignée par la lueur d’une haute lampe à pétrole, il y a maman et les deux adjointes que nous avons prises en pension. Mademoiselle Dauxois, chlorotique et silencieuse, mène une vie effacée. Elle découpe avec soin, et à tout petit bruit, dans de vieilles couvertures de cahiers, d’étroites et longues bandes multicolores que les fillettes de la petite classe tisseront à l’heure du travail manuel. Mademoiselle Rivet, une bouche moqueuse, des yeux myopes, mais pourtant vifs sous le binocle pédagogique, se montre aussi expansive que Mademoiselle Dauxois apparaît réservée. Elle mène la classe du certificat d’études avec décision et belle humeur. La voici qui pouffe en annotant les rédactions de ses élèves : « Non ! Ces sottes n’en font pas d’autres ! « . (..)

 

 

L’étude du soir, de cinq à sept, se passait en petit comité. Maman la réservait à la douzaine d’aspirantes qui lui paraissaient aptes à réussir au Brevet ou à l’Ecole Normale. J’y étais admis sans cérémonie. Cela commençait par un exercice scolaire : dictée, problème ou rédaction. Les problèmes me rebutaient; mais j’acceptais volontiers l’épreuve d’orthographe et de composition où, sensiblement plus jeune, je n’arrivais pas toujours dernier. Pendant la deuxième heure, le travail était libre. Nous nous rapprochions; nous nous faisions réciter nos leçons à voix basse tandis que « La Dame » préparait la classe du lendemain. (..)

 

 

Lorsqu’enfin l’horloge de l’hôtel de ville laissait tomber sept coups, nous rangions nos affaires. Maman se levait, recevait et rendait en souriant le bonsoir de ses disciples. Elle éteignait le gaz, vérifiait le compteur, et nous montions dîner. »
(EXTRAIT DE « AU PAYS NOIR », H.BESSEIGE.)

 

 

 

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Henri Besseige (1887/1967), en bas, à gauche de cette photo de famille, comme à son habitide souriant et aimable (collection particulière)

 

 

 

 

 

A l’issue de ses études secondaires et du baccalauréat, Henri Besseige se rend à Paris, en 1905, pour préparer l’École Normale Supérieure de Saint-Cloud. Il réussit au concours d’entrée et passe alors l’agrégation. Il commence sa carrière comme professeur de Lycée à Châlons-sur-Marne. Il se marie le 19 juin 1917 avec Renée Favard. Il devient ensuite Directeur d’École Normale à Lyon. Sa carrière se terminera au Puy, comme inspecteur d’académie. C’est là qu’il prendra sa retraite en 1946.

 

De nombreuses publications ont marqué sa carrière dans l’Éducation nationale, notamment des livres de lecture et d’histoire. Pendant ses années de retraite, il continua d’écrire et, en 1952, il publia un premier volume de souvenirs des années 1890 – 1900 : « Au Pays Noir » (éditions de Haute-Loire, Le Puy, 1952 ; réédité en 1997 par Le Caractère en Marche éditeur, Génelard, à l’initiative de l’association « La Mère en Gueule » et commercialisé par elle). Il continua dans cette voie en 1958 avec « Bonjour Vieillesse », publié à compte d’auteur, ouvrage dans lequel il relate sa découverte des Impressionnistes, au Musée du Luxembourg, pendant ses études à Paris.

 

 

Henri Besseige termina son œuvre par une biographie d’Édouard Herriot, « Herriot parmi nous » (éd. Magnard, 1960), « livre de bonne foi » comme il le disait, où il rend hommage au politique (qu’il avait connu durant sa carrière) et à l’homme de lettres. Henri Besseige est mort à Paris le 11 janvier 1967.

 

 

Pour l’anecdote, Henri Besseige contribua à la publication de « Montceau a 100 ans » en 1956, en produisant un l’extrait de son livre qui suit :

 

 

 

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Page 109 de « Montceau a 100 ans » (collection musée)

 

 

 

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Livre « Montceau a 100 ans » avec sa couverture dessinée par « Géo Sargel », pseudonime d’une autre figure de Montceau bien connue : GEORGES LEGRAS (collection musée)

 

 

 

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Rapport d’inspection de M. Maringue, instituteur en 1898 (collection musée)

 

 

 

 

LA VISITE DE MONSIEUR L’INSPECTEUR : (156i bulletin d’insp.)

 

 

M. l’Inspecteur vit à l’ombre de la sous-préfecture. Il se déplace par chemin de fer, mais il ne craint pas d’aller à bicyclette d’un point à l’autre de sa circonscription, quel que soit le temps, canicule ou frimas.

 

 

Dès 1835, les inspecteurs de l’enseignement primaire se mettent à arpenter les campagnes :

 

« Il arrivait qu’alors et une fois par an, venait s’abattre au milieu de l’école, comme le grec de Marathon au milieu d’Athènes, un enfant d’une dizaine d’années, les cheveux collés aux tempes, tant la sueur était abondante, les joues écarlates tant la course furieuse avait fouetté le sang. Le grec, c’est-à-dire l’enfant essoufflé, mourant, tendait à l’instituteur du lieu une lettre qui n’était pas toujours scellée d’un cachet noir, mais qui aurait toujours dû l’être, car elle était des plus néfastes que notre maître d’école pût recevoir. La lettre contenait rarement plus que cette phrase traditionnelle pour les 30 000 instituteurs de la France d’alors : « L’Inspecteur sort d’ici et va chez vous; prenez vos mesures. Votre collègue affectionné. » (..)

 

 

L’instituteur qui, à la vue de l’enfant, avait ressenti les premières atteintes d’un tremblement convulsif, devenait livide et se mettait à s’agiter des pieds à la tête, ni plus ni moins que s’il venait de passer dix ans dans les marais pontins… On entendait ses mains et ses dents s’entrechoquer avec un bruit grêle qui donnait la chair de poule aux plus incorrigibles marmots. Cependant, avec un suprême effort, il faisait l’annonce de la nouvelle fatale. Sa voix n’avait plus rien d’humain : « Mes enfants… Monsieur l’Inspecteur… va arriver. Vite ! préparez vos cahiers et vos livres. » (..) Pendant que les uns faisaient couler sur leurs visages et sur leurs mains un fleuve de salive destiné à leur rendre la pureté baptismale, les autres s’emparaient des plumes et des crayons à leur portée et les transformaient en peignes pour les cheveux. L’instituteur un peu remis pensait, lui, à la salle de classe. Il époussetait par ci… il balayait par là… partout il avait l’oeil… »
(« SCENES DE LA VIE D’UN INSTITUTEUR » P.LUIZ, 1868)

 

 

 

 

UNE INSPECTION PARTICULIERE :

 

 

« Sa visite terminée, l’inspecteur avait jeté un coup d’œil sur la cour de récréation grande comme un mouchoir de poche, s’était avancé vers la minuscule bâtisse accolée à la paroi rocheuse. Il avait ouvert la porte branlante et reculé aussitôt, horrifié. Trois vieilles planches disjointes laissaient, en arrière, un vide suffisant pour qu’une des benjamines risquât, au moindre mouvement, de basculer dans le cloaque. Encore n’avait-il vu le compartiment réservé aux filles et à l’institutrice. Je n’avais pas eu le courage de le convier à contempler celui des garçons, combien plus acrobatique.

 

 

Lorsque arrivait l’été, des relents nauséabonds montaient jusqu’à la terrasse et, par vent du sud, l’air devenait irrespirable. Seul le grésil permettait de lutter efficacement contre l’odeur et aussi contre les nuées de mouches, de guêpes et d’abeilles qui envahissaient ces lieux d’où le mot aisance était banni…

 

Le maire qui s’était montré surpris du problème lorsque je lui avais soumis quelques mois plus tôt, m’avait promis une réfection pendant les grandes vacances.

 

Un matin de juillet, je vis le garde champêtre creuser à coup de pic et de pelle un trou dans le champ voisin. Je m’avançai :
« Que faites-vous là ? Ce n’est pas la saison de planter des arbres !

 

– C’est pas pour planter, c’est pour y porter… vous savez…
– Eh non ! Je ne sais pas. Pour porter quoi ?
– Eh bien ! Eh bien ! C’est pour mettre ce que je retirerai du cabinet tout à l’heure… »

 

Prise d’une terrible envie de rire, je restais muette de crainte que le pauvre homme ne crût que je me moquais de lui.
Jugeant le trou assez grand, il est parti chez lui, puis revenu portant, d’une main, une vieille casserole fixée au bout d’un manche à balai et, de l’autre, deux seaux passablement cabossés…

 

La corvée ne dura guère. Et pour cause ! La fosse n’était en réalité qu’un légère excavation entaillée dans le banc rocheux. Comment expliquer que la vidange n’était effectuée qu’une fois par an ? Peut-être des fissures du calcaire ?… La raison était bien simple. A la belle saison-et elle dure une bonne partie de l’année ici-le cabinet ne servait guère. A l’instar de leurs aînés, les petits préféraient l’écran d’unbuis ou d’une murette au sein de la nature qui palliait, de surcroît, l’absence de papier au fond des poches !… »

 

(IN « LES ECOLES DE LA REPUBLIQUE », Editions de la CAMIF)

 

 

 

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Aquarelle de l’architecte Dulac, La fosse d’aisance de l’école de Savianges (collection Pirou)

 

 

 

 

 

 

Patrick PLUCHOT
Président de la Maison d’Ecole
Collection Ecomusée de la CUCM-Musée de France

 

 

 

 

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